DUO 2 (2022) – Bilan Amérique du Nord
Le contexte :
Du 27 avril au 11 juin 2022, nous avons découvert le Canada et les États-Unis pour la cinquième et sixième étape de l’Odyssée Managériale.
L’occasion pour nous de rencontrer 35 entreprises et 47 collaborateurs ! Un moment très intense, marqué, en plus des rencontres, par des conférences et des interventions médiatiques.
À l’instar de la Norvège, l’Islande, le Brésil et la Colombie, notre compréhension de ces deux cultures n’est pas exhaustive, et les exemples que nous vous donnerons ne reflètent pas le comportement de toutes les entreprises. Nous avons séjourné à Montréal et San Francisco, deux villes bien particulières dont le fonctionnement diffère parfois du reste du pays.
Notre ressenti :
Notre arrivée à Montréal fut particulière. Nous sommes alors à la moitié de l’aventure, après 3 mois de voyage à la découverte de cultures sociétales et managériales très différentes de la nôtre. Pour la première fois, nous sommes dans notre zone de confort, entourés de Français vivant sur place. Cependant, nous réalisons rapidement que la culture managériale montréalaise n’est pas la même qu’en France et que notre apprentissage sera très grand.
Notre séjour à San Francisco fut quant à lui assez atypique. Une plongée dans l’univers de la Silicon Valley, dont les entreprises influencent régulièrement et mondialement les manières de manager (Google, Salesforce, Netflix …). Des rencontres aussi intéressantes qu’intrigantes tant l’argent est au cœur de toutes les réflexions et la transaction au cœur de tous les échanges. Une ville dans laquelle nos échanges ne correspondaient pas forcément à nos idéaux managériaux mais qui n’en reste pas moins incontournable au vu de son influence sur le monde.
Nos rencontres à San Francisco nous ont permis de réfléchir à l’intention derrière la transformation managériale. Qu’est-ce qui motive un manager à entamer une transformation managériale ? Qu’est-ce qui motive un manager à prendre soin de ses équipes ? Est-ce l’argent ? La considération de l’autre ? La performance ? Une question passionnante dont la réponse semble assez claire dans les entreprises de la Bay Area.
Le Canada :
La posture des managers dans les entreprises montréalaises n’est pas exactement la même qu’en France ou dans les pays découverts auparavant. Nous avons été marqués par deux éléments dans la culture managériale : la reconnaissance des salariés et le respect de l’humain.
Nous comprenons rapidement l’importance de la reconnaissance en entreprises auprès de Michel Bundock de l’entreprise Groupement des chefs d’entreprise : “le besoin d’être reconnu est plus important que le besoin d’être aimé”. Reconnaître les réussites et les qualités de ses équipes, une idée plutôt triviale mais qui prend réellement son expression pour la première fois, ici, à Montréal.
Répondre au besoin de reconnaissance des employés dans l’entreprise : telle est la mission que s’est fixée l’entreprise canadienne OfficeVibe avec son outil GoodVibes.
Goodvibes à été pensé pour célébrer les petites victoires et les compliments que chacun pourrait manquer surtout lorsque le télétravail est présent dans l’entreprise. Julie, HR Speaker et Researcher de l’entreprise OfficeVibe, nous explique qu’au travail (et cela a été renforcé avec le passage au remote work) nous n’avons pas toujours la possibilité et l’opportunité de se partager pourquoi nous nous apprécions.
En effet, la reconnaissance est l’une des 10 métriques de l’engagement et l’une des plus faibles en score chez les client selon elle. C’est à ce moment que Julie pense à créer Goodvibes. Le principe est simple, envoyer des cartes de reconnaissance, de compliments à ses collègues. Point très intéressant, le manager reçoit une copie pour chaque Goodvibe envoyée, cela lui permet d’avoir plus de visibilité de ce qui se passe entre chacun !
La reconnaissance des équipes s’accompagne d’un vrai respect de l’humain en entreprises.
Chloé de l’entreprise fabric utilisait une formulation que l’on partage pour parler du comportement des Canadiens dans le monde professionnel : “ils sont durs avec les problèmes et doux avec les personnes”.
Contrairement à la Norvège, les managers canadiens n’essayent pas forcément de créer des relations très personnelles avec leurs employés. En revanche, plusieurs pratiques managériales sont régulièrement mises en place pour prendre soin de ces derniers et respecter ce qu’ils sont.
La pratique du check-in / check-out :
Au début et à la fin de chaque réunion, les employés expriment leur état d’esprit, leurs ressenties, chacun leur tour. Nous avons été frappés par l’espace d’expression laissé aux employés et le respect de la parole de chacun. Michel Bundock soulignait ainsi la “grande différence entre écouter et attendre que quelqu’un finisse de parler”.
Nous avons assisté à plusieurs moments de check-in et check-out, avec parfois, des instants d’émotions intenses, comme ce check-in lors d’une réunion de gouvernance (modèle de gouvernance holacratique) avec une entreprise montréalaise. Au début de la réunion, un employé explique simplement qu’il est fatigué et que sa semaine fut très stressante. Lors des intéractions suivantes, nous ressentons une certaine tension dans son expression et des réactions parfois froides. Grâce au check-in, nous étions plus à même de comprendre ses réactions, de l’écouter et de ne pas lui en vouloir. Un collègue aurait pu s’énerver contre lui, ne pas comprendre son comportement, ce ne fut pas le cas.
Nous avons décidé d’adopter cette pratique lors du recrutement du prochain duo de l’Odyssée Managériale. Nous étions nous-mêmes souvent dans un contexte très particulier (dans un pays étranger, avec un décalage horaire important, des manières de penser nouvelles etc …). La pratique du check-in / check-out est un moyen de bien expliquer notre situation, nos réactions et d’être le plus transparent possible sur notre manière d’interagir avec les candidats. Pour eux, c’est aussi un moyen d’exprimer leurs peurs, leurs interrogations et état d’esprit avant d’entamer l’échange.
L’avantage d’une telle pratique est qu’elle est très simple à mettre en place. En revanche, elle doit être accompagnée par un espace d’écoute et de confiance. Une équipe dans laquelle l’expression d’un vécu personnel n’est pas possible n’a pas d’intérêt à mettre en place ce genre de pratique.
Apprendre à collaborer pour limiter les tensions :
Nous partons du principe que la collaboration est quelque chose de naturel. Nous n’apprenons pas toujours à le faire lors de nos études, à l’exception de quelques travaux de groupe.
Dans la plupart des entreprises, travailler ensemble n’est pas forcément enseigné. Évidemment, les processus sont connus de tous, mais ils ne se concentrent pas sur les échanges humains et quotidiens au sein d’une entreprise.
Travailler avec une équipe que l’on ne connaît pas et que l’on n’a pas forcément choisie serait suffisamment simple pour qu’on ne nous forme pas sur la question …. C’est cette croyance que combat l’entreprise montréalaise Percolab. Ce véritable laboratoire vivant a publié une matrice de collaboration pour prendre conscience personnellement et en équipe de son niveau de collaboration.
La matrice est fondée sur les sept domaines de pratique du livre Leadership horizontal, de Samantha Slade (apprentissage, relations, autonomie, intention, réunions, transparence, décision). C’est un outil conçu pour créer des collaborations plus saines et améliorer notre capacité à travailler harmonieusement avec les autres.
Apaiser les relations, apprendre à collaborer : des pratiques typiquement montréalaises, de respect des autres malgré nos différences.
Le retour au bureau : inverser le rapport de force entre les employés et les entreprises :
Le marché du travail montréalais est intéressant car il y a une pénurie de talents. Les travailleurs montréalais peuvent changer assez facilement de travail. Ainsi, le rapport de force entre les entreprises et les travailleurs n’est pas forcément le même qu’ailleurs et les entreprises se doivent de fidéliser leurs employés.
Ainsi, sur le retour au bureau suite à la crise du covid, nous avons aimé l’approche de Pierre-Paul, vice-président et partner de onepoint.
Le postulat de départ est simple : Pierre-Paul ne souhaite pas imposer le retour au bureau à ses employés. En revanche, il croit encore aujourd’hui à la nécessité de se retrouver physiquement.
Depuis la “fin du covid” et le possible retour sur les lieux de travail, Pierre-Paul constate clairement une baisse du nombre d’employés en présentiel. Au lieu de forcer ses salariés à revenir, il s’est fixé comme mission de faire du bureau un espace beaucoup plus attractif pour faire revenir les employés.
La responsabilité du retour au bureau n’est pas mise sur le dos des employés mais sur l’équipe dirigeante. Pierre-Paul estime que les temps changent et que c’est aux équipes dirigeantes de s’adapter aux nouveaux besoin de flexibilité. Les bureaux sont devenus moins attractifs que de travailler chez soi, il souhaite changer l’approche du lieu de travail et créer un espace différent.
Conclusion : Les entreprises montréalaises nous auront marquées par la prise en considération des employés, leur reconnaissance et le respect de chacun. Un monde du travail pas du tout incompatible avec des résultats économiques impressionnants et une situation de quasi plein-emploi. Encore une fois, tout cela n’est pas naturel : les Montréalais apprennent à collaborer ensemble, en communiquant et en se respectant.
Les États-Unis :
À San Francisco, nous avons ressenti un écosystème entier tourné vers l’argent, la transaction et l’innovation. Le tout dans un univers ultra-dynamique, ultra-rapide et en constante évolution. Nous vous parlions plus haut de l’intention derrière la transformation managériale dans une entreprise. À San Francisco, les pratiques managériales observées vont, selon nous, dans le sens d’une plus grande performance économique et de plus d’innovations.
Viser très haut, très loin en prenant des risques :
Dès le début de notre séjour à San Francisco, nous avons eu la chance de découvrir l’univers de la Silicon Valley en visitant l’université UC Berkeley accompagné par Thibaud, fondateur de l’Odyssée Managériale et Patrick Consorti, Executive in residence pour l’entreprise Schoolab.
Nous avons ressenti cette notion de “prise de risque” et l’ambition de viser très haut lors de cette visite. En effet, il existe à San Francisco, des synergies très fortes entre les grandes universités américaines, les GAFAM, les fonds d’investissements et les startups. Les GAFAM participent activement au financement de certaines universités. Ces dernières forment des talents qui sont poussés à innover et créer des start-ups. Ces nouvelles startups sont largement et très rapidement financées par des fonds d’investissement proches des écoles et sont régulièrement rachetées par les GAFAM. Le tout forme un écosystème qui s’auto-entretient. Bien que cette description de la Silicon Valley soit caricaturale, elle dépeint une réalité bien existante qui encourage l’ambition, la prise de risque et l’innovation (avec ses limites …).
Cette culture dans la Silicon Valley influence grandement la culture managériale des entreprises à San Francisco. Vincent de l’entreprise Stripe Terminal prenait l’exemple de la stratégie de survie d’une jeune start-up à San Francisco. Il a été très surpris par la réponse du CEO d’une entreprise pour laquelle il travaillait lorsqu’il demanda pourquoi il ne fallait pas ouvrir une lettre recommandée. Ce dernier expliqua l’importance du temps : dans 3 ans la boîte sera soit morte, soit suffisamment grosse pour répondre efficacement à des attaques juridiques de concurrents.
Toute l’énergie est focalisée sur le développement économique de l’entreprise. L’entrepreneur parie que la taille de son entreprise dans les prochaines années permettra largement de répondre aux problèmes fiscaux, légaux qu’elle aura eu dans le passé.
Ainsi, le contrôle des dépenses des employés n’a pas tant d’importance ce qui facilite une culture de confiance et d’autonomie.
Être transparent pour être performant :
Vincent nous expliquait que le partage d’information n’est pas forcément le même entre les entreprises françaises et celles de la Bay Area. En France, l’information détenu peut-être synonyme de pouvoir. Le contrôle de l’information est alors, pour le manager, une forme de contrôle du pouvoir.
À San Francisco, le cheminement de pensée est souvent inverse : tout est partageable. L’idée derrière est que le partage d’information permet une plus grande performance économique en accélérant la vitesse de prise de décision, la création de nouveaux produits innovants etc …
La culture du feedback pour tous, avancer vite et s’améliorer :
Le feedback est très présent dans les entreprises américaines. Il n’est pas unilatéral et ne dépend pas forcément du niveau hiérarchique de la personne. Tout le monde doit se soumettre à la règle. Ainsi, un manager n’échappe pas aux feedbacks positifs et négatifs : il/elle doit être challengé(e) au même titre que les collaborateurs.
Nous avons vécu 3 semaines à San Francisco et ressenti cette culture du feedback dans la vie quotidienne. Cela se traduit par des échanges très ouverts sur notre style vestimentaire, notre comportement… Les discussions avec les Franciscains sont dans l’ensemble très directs et contiennent en leur sein une volonté de mettre en valeur, améliorer ou aider l’autre.
Les discussions directes permettent de faire avancer les situations plus rapidement, de mettre le doigt sur les faiblesses ou forces de chacun et donc de s’améliorer plus rapidement. Le tout permettant une plus grande efficacité économique.
En lien avec un rôle différent joué par le manager :
Nous comprenons rapidement qu’à San Francisco, le manager est un métier. Il est possible de manager des personnes plus compétentes que soi dans un domaine. La corrélation entre des compétences élevées sur un sujet et des postes de management est moins évidente qu’en France.
Par conséquent, un manager peut avoir quelqu’un dans son équipe qui gagne deux fois plus que lui. C’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine le salaire et non le niveau hiérarchique.
Des profils très pointus peuvent gagner plus que le manager. Cependant, le manager doit rester très compétent techniquement car la technique est centrale pour les entreprises de la Bay Area.
Le manager n’est pas non plus celui qui doit trouver une solution à tous les problèmes. Il n’est pas le “manager sauveur” dont nous parlait Sergio Castaldo de l’entreprise Statkraft en Norvège en évoquant le management à la française. En effet, n’étant pas forcément le plus capé techniquement, il s’occupe de créer le cadre de l’intelligence collective plutôt que de trouver toutes les solutions lui-même.
La culture de l’auto-formation :
“Forme-toi toi-même.” Tel pourrait être le slogan utilisé dans la Silicon Valley quant aux sujets d’apprentissage. Le message derrière est assez simple : l’information est disponible pour tous et tout le temps. C’est à l’employé d’aller chercher activement les informations et d’apprendre au quotidien par lui-même.
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