Pour des raisons de simplicité dans la lecture et sans discrimination aucune, la forme masculine sera utilisée pour parler du masculin.
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À très vite,
👉 Le contexte
Du 11 juin au 24 juillet 2022, nous avons découvert la Corée du Sud et le Vietnam pour la septième et huitième étape de l’Odyssée Managériale 🇰🇷🇻🇳
L’occasion pour nous de rencontrer 26 entreprises et 30 collaborateurs ! Un moment très intense, marqué par le recrutement du prochain duo de l’Odyssée Managériale en plus de nos rencontres professionnelles. Un recrutement qui nous a rempli de joie, au vu du nombre de candidatures et de la motivation des personnes que nous avons rencontrées.
Beaucoup de jeunes sont intéressés par le projet, ce qui illustre parfaitement les changements en cours et le besoin des nouvelles générations d’inventer d’autres manières de travailler. L’Odyssée Managériale est entre de bonnes mains et l’association continuera, encore et toujours, de rencontrer celles et ceux qui inventent le monde professionnel de demain 🙌
À l’instar de la Norvège, l’Islande, le Brésil, la Colombie, le Canada et les États-Unis, notre compréhension de la culture sud-coréenne et vietnamienne n’est pas exhaustive, et les exemples que nous vous donnerons ne reflètent pas le comportement de toutes les entreprises.
Nous avons séjourné pendant 3 semaines à Séoul. Trop peu pour assimiler l’ensemble des caractéristiques de cette culture passionnante mais assez pour en comprendre les grands axes et les complexités. Notre prisme occidental, Français fut chamboulé durant cette période, et nous avons adoré cela.
👉 La Corée du Sud
Notre ressenti :
Nos premières rencontres professionnelles en Corée sont très particulières. Nous avons l’impression de revenir 20, 30 ans en arrière. Nous parlions de culture du care en Norvège, d’égalité hommes femmes en Islande, de nouvelles formes de gouvernance au Brésil et maintenant … de hiérarchie, de contrôle et de “manager militaire”.
Notre première réaction est celle de la plupart des Occidentaux : mais ils sont fous ces Coréens. On ne comprend pas la manière de fonctionner des entreprises coréennes.
Mais qu’allions nous raconter sur l’innovation managériale ? Après quelques jours sur place, nous comprenons que nous devons supprimer tous nos biais occidentaux et nous intéresser pleinement, sans préjugés, à cette culture aussi incroyable que complexe. C’est le principe d’altérité.
Et puis finalement, depuis 4 mois nous entendons que l’humain doit être au cœur des manières de manager, qu’il faut supprimer la hiérarchie et le contrôle etc… La Corée du Sud prône tout l’inverse et le pays est tout simplement impressionnant économiquement. Essayons de comprendre comment ce système marche et surtout, pourquoi il marche.
Sur place, nous passons beaucoup de temps à essayer de rencontrer des locaux. La tâche n’est pas facile car les Coréens ne font pas nécessairement de mise en relation et ne souhaitent pas forcément s’exprimer en anglais (alors que certains parlent très bien).
Dans un premier temps, nous rencontrons essentiellement des Français, Franco-Coréens, ou encore Coréo-Américains. Puis, nous parvenons finalement à discuter avec des locaux.
La Corée du Sud est le pays visité dans lequel l’impact de la culture sociétale sur la culture managériale est le plus grand. Par conséquent, un point historique s’impose.
L’histoire contemporaine de la Corée du Sud :
Pour comprendre la culture managériale, il est essentiel de comprendre l’histoire récente du pays.
La domination japonaise :
Entre 1910 et 1945, la Corée (encore unifiée à ce moment-là) est sous domination japonaise d’un point de vue militaire (présence de troupes japonaises sur le territoire), économique (utilisation des matières premières, exploitations des richesses pour le Japon…) ou culturelle (interdiction de parler coréen, apprentissage obligatoire du japonais…). Les relations entre les deux pays sont marquées à jamais, ce que nous ressentons lors de nos visites culturelles à Séoul. La capitulation du Japon à la fin de la seconde guerre mondiale permet finalement à la Corée de retrouver sa liberté.
La séparation de la Corée en deux États :
Une liberté de courte durée puisque, dans un contexte de guerre froide, les États-Unis et l’URSS décident de tracer une ligne de démarcation coupant la péninsule coréenne en deux : la zone nord sera sous influence russe et la zone sud sous influence américaine. Le Nord et le Sud se constituent donc chacun en état indépendant. Des familles entières se retrouvent séparées par une frontière infranchissable du jour au lendemain.
La Guerre de Corée :
Le 25 juin 1950, les troupes nord-coréennes envahissent Séoul. Les Américains ripostent en faisant attaquer leur flotte à Incheon. Un engrenage idéologique se met en place entraînant une guerre de 3 ans connue sous le nom de Guerre de Corée.
La dictature :
À partir de la fin de la guerre de Corée, la Corée du Sud vivra avec un régime dictatorial. À partir de 1987, après plusieurs luttes acharnées de la population, la démocratie s’installe durablement en Corée du Sud.
La Corée du Sud a connu, dans une histoire récente, des transformations drastiques.
Depuis cinquante ans, le pays jouit d’une croissance et d’une intégration dans l’économie mondiale exceptionnelle.
En 1960, le PIB nominal par habitant était comparable à celui des pays les moins avancés d’Afrique et d’Asie, comme le Cameroun et l’Indonésie, avec 260 US$ par habitant.
En 2017, son PIB nominal par habitant s’élève à presque 30 000 US$, soit le même niveau que l’Espagne. La Corée du Sud est en 2021, la 10e économie mondiale et le 6e exportateur mondial.
Cette économie s’est développée économiquement autour des “chaebols”, les grands groupes coréens (Samsung, LG, Hyundai …) souvent dirigés par des grandes familles et au développement tentaculaire.
Autrefois coupé de la scène internationale, le pays est aujourd’hui très visible et développe son soft-power autour de la K-pop, de la tech ou encore des séries télévisées.
Selon nous, l’impact de cette histoire récente à des répercussions majeurs sur le fonctionnement des entreprises :
– Le choc des générations : dans une même entreprise, on peut retrouver un employé ayant vécu la dictature et un jeune passionné de K-pop, ayant voyagé aux USA et en Europe et vivant une partie de sa vie dans le metaverse. Le choc des générations est immense et peut parfois générer des incompréhensions. La Corée du Sud nous a marqué par son paradoxe entre modernité et tradition.
– Le service militaire : un service militaire d’environ deux ans est obligatoire pour tous les hommes de nationalité sud-coréenne. Ils doivent l’effectuer entre l’âge de 18 et 28 ans. Ce service a notamment été mis en place suite aux tensions avec la Corée du Nord. Le fonctionnement militaire se retrouve parfois dans les entreprises, nous y reviendrons plus tard.
Comme vous avez pu le lire, la Corée du Sud a connu un développement économique éclair. Ce “miracle coréen” s’explique en partie par une organisation bien précise au sein des entreprises, qui dépend fortement de la culture sociétale. Explications.
La hiérarchie, au coeur des interactions :
Lors de nos visites d’entreprises ou dans nos interactions au quotidien, nous avons été marqués par l’importance de la hiérarchie.
Souvent décriée en France, nous comprenons rapidement qu’elle est essentielle au bon fonctionnement de la société et des entreprises coréennes.
Audrey, Country Manager de l’entreprise Ipsen, nous expliquait que les Sud-Coréens essaient très rapidement de se placer l’un par rapport à l’autre, en fonction de l’âge, du statut social, du métier …
Tant que deux personnes ne se situent pas l’une par rapport à l’autre, elles continuent de creuser. Une fois le positionnement fait, le niveau de langage utilisé ne sera pas le même. Celui “en dessous” utilisera des marques de respect plus grandes et un niveau de langage particulier.
Il existe différents degrés de langage en Corée du Sud en fonction de son interlocuteur. La structure linguistique est une illustration de l’organisation hiérarchique du pays.
Cette nécessité de se placer l’un par rapport à l’autre se retrouve dans le monde professionnel. Isabelle de l’entreprise Rainmaiking prenait l’exemple de la carte de visite. Les Coréens donnent leur carte de visite dans le sens de la lecture afin de se situer immédiatement hiérarchiquement vis-à -vis de son interlocuteur.
Olivier, CEO de l’entreprise Asiance nous expliquait quant à lui l’importance des titres dans les entreprises coréennes. Dans le cadre professionnel, les Coréens ne s’appellent pas par leur nom mais par leur titre professionnel (manager, assistant, directeur …).
Nous avons discuté avec plusieurs managers français qui ont tenté de supprimer les titres en entreprises pour revenir à un fonctionnement plus humain, où la personne n’est pas définie par son poste. Cette initiative a souvent été vaine pour deux raisons :
– Sur leur lieu de travail, les titres apportent un cadre hiérarchique essentiel pour organiser les relations. Ils permettent aussi de se situer lors de rendez-vous client et de savoir à qui l’on s’adresse.
– Socialement, le titre est essentiel. Il permet de se positionner dans la société par rapport à d’autres en fonction de son statut professionnel.
Ainsi, supprimer les titres est un excellent moyen de désorienter les équipes et de faire fuir les talents en leur empêchant d’avoir un statut professionnel clair, qui est indispensable pour prendre sa place dans la société.
La hiérarchie, les promotions et l’ancienneté :
Nous vous disions que la culture sociétale impacte fortement la culture managériale en Corée du Sud. Le système de promotion en entreprises en est la parfaite illustration.
Bryan de l’entreprise Adecco, nous expliquait qu’avant son arrivée en 2019 en tant que Country Manager, les promotions étaient favorisées par l’ancienneté. Un jeune, même très performant ne pouvait pas gravir les échelons car il ne fait pas figure d’autorité dans la société.
Jérôme de l’entreprise Decathlon, partageait avec nous la complexité de promouvoir un jeune avec des équipes sud-coréennes. En effet, même si le jeune a, sur le papier, une position hiérarchique supérieure, dans les faits, il aura du mal à contredire un employé plus âgé de l’équipe ou être légitime dans la prise de décision par rapport à ce dernier.
Ce respect de la hiérarchie, des règles sociales et des personnes âgées s’expliquent en partie par l’influence du confucianisme en Corée du Sud. Le confucianisme est un courant majeur de la pensée chinoise, tiré de l’enseignement de Confucius.
Il permet l’émergence d’une classification hiérarchique très poussée des couches de la société, l’obéissance aux puissants et contribue à placer au centre l’homme, la femme n’ayant que peu voix au chapitre au regard des textes classiques.
Même si l’importance des principes moralistes confucéens a quelque peu décliné en Chine à la suite de la Révolution culturelle, l’influence latente que le confucianisme exerce, par exemple sur le modèle social de la Corée du Sud, mais aussi du Japon ou du Vietnam (respect des ancêtres, piété filiale, obéissance aux aînés, patriarcat, etc.), est centrale.
Par conséquent, la figure d’autorité en Corée du Sud est souvent incarnée par un homme, âgé. Cela complexifie les rapports dans l’entreprise. La promotion d’une jeune femme au rang de manager est par exemple délicat au vu de ce que nous venons d’évoquer. Ce faisant, les inégalités hommes-femmes en Corée du Sud sont conséquentes.
Le respect de l’ancienneté donne lieu à des situations surprenantes. Olivier de l’entreprise UBAF nous racontait l’exemple d’un salarié d’une équipe coréenne qui avait les cheveux blancs et paraissait plus âgé que son manager. Les plus anciens étant les figures d’autorité, la situation posait problème. Ce dernier fini par se teindre les cheveux en noir pour paraître plus jeune que son manager.
La hiérarchie s’illustre également dans l’organisation des bureaux et des réunions. Valentin de l’entreprise Bluebell nous expliquait qu’ils avaient refait les bureaux en 2018, en cassant les parois, en ouvrant l’espace et en mettant des bais vitrés pour les bureaux des managers et non plus des espaces clos. La hiérarchie s’incarne dans l’organisation des bureaux avec des espaces bien séparés entre les managers et les employés.
Un autre exemple nous a énormément marqué : l’organisation des bureaux de l’UBAF. Olivier, le directeur nous décrivait la logique de contrôle dans laquelle les bureaux ont été construits. Le bureau du directeur est dans le sens inverse des bureaux de tous les employés. Ainsi, dès que le directeur sort de son bureau, il voit les ordinateurs de tous les employés et peut contrôler leur travail. Une organisation des bureaux qu’il ne peut pas forcément changer aujourd’hui.
Concernant les réunions, Audrey de l’entreprise Ipsen nous racontait qu’à son arrivée dans les bureaux sud-coréens en 2021, la parole en réunion était accaparée par les managers les plus seniors, la plupart du temps, des hommes. Le reste de l’équipe parlait très peu et ne donnait pas son avis.
L’impact de la hiérarchie sur la prise de décision et la prise d’initiative :
Nous évoquions au début de l’article la figure du “manager militaire”. Dans certaines entreprises sud-coréennes, le fonctionnement des équipes est comparable à celui d’une armée : un chef expérimenté qui donne des ordres, des équipes disciplinées qui les appliquent.
Plusieurs éléments expliquent ce fonctionnement :
– Une éducation qui restreint la prise d’initiative, le questionnement et le débat.
Isabelle de l’entreprise Rainmaking soulignait la différence entre l’éducation française et coréenne. Par exemple, en France, nous sommes habitués à répondre à des questions ouvertes, à disserter et à faire des analyses de texte. Des formats poussant à la réflexion, au questionnement.
En Corée du Sud, les évaluations s’articulent autour de QCM. On ne demande pas aux élèves de réfléchir, de questionner ou de construire un propos mais d’appliquer. Finalement, l’élève capable d’apprendre le plus de contenus et de l’appliquer concrètement, sans questionner son apprentissage est celui qui s’en sortira le mieux.
On retrouve ce fonctionnement dans l’entreprise : on ne mesure pas la performance d’un employé par sa capacité à questionner, à prendre des initiatives mais plutôt par sa capacité à appliquer le plus rapidement possible les consignes qu’on lui donne. Autrement dit, en Corée on agit d’abord, en France on analyse.
– L’importance du collectif. Paul, director Franco-Coréen chez PwC, notait l’importance du collectif en Corée du Sud, la nécessaire homogénéité des groupes.
Une personne qui sortirait des rails, qui serait différente ou qui prendrait trop d’initiatives serait mal perçue par le groupe, par le collectif. La culture du “nous” est très forte.
Il y a ici un paradoxe important : les Coréens se comparent énormément entre eux et sont régulièrement en compétition (sur l’éducation, sur le sport, sur le travail, sur l’argent …). Il y a donc un paradoxe entre l’importance du collectif, qui régit la vie des Coréens (ils appartiennent tous à des groupes) et l’individualité au sein même de ces groupes.
– Le respect de la hiérarchie et des décisions venues d’en haut en lien avec le confucianisme et l’organisation de la société.
– La peur de perdre la face : sortir de sa zone de confort, prendre des initiatives ou encore questionner les ordres c’est aussi prendre le risque de faire des erreurs, de perdre la face. Le rapport à l’erreur n’est pas le même qu’en Occident. Faire une erreur c’est aussi se ridiculiser par rapport au groupe. Audrey de l’entreprise Ipsen nous racontait qu’avant son arrivée, les équipes se fixaient des objectifs parfaitement réalisables pour pouvoir les dépasser.
L’exemple le plus marquant entendu sur l’exécution des ordres est celui de Korean Air. Un pilote a fait une erreur de manœuvre et a pris la mauvaise décision. Le copilote n’a pas osé lui dire et questionner la manœuvre ce qui a mené à un accident.
Les avantages de ce modèle de management :
Économiquement les entreprises coréennes sont assez impressionnantes. Les décisions sont prises rapidement et sont tout de suite appliquées. Elles sont fondées sur la hiérarchie ce qui limite le débat et les conflits.
Les entreprises sud-coréennes ont une capacité d’adaptation très forte. Olivier de l’entreprise UBAF nous expliquait qu’elles ne sont pas les plus innovantes. En revanche, elles observent le marché, les besoins, les innovations technologiques et s’adaptent très vite grâce à des décisions fondées sur la hiérarchie.
Audrey de l’entreprise Ipsen décrivait l’adaptabilité des Coréens à travers le “nunchi”, oú la capacité d’écouter et de comprendre ce que les gens pensent et ressentent dans un laps de temps très court et d’adapter son comportement en conséquence. Une qualité rare, qui constitue selon elle le “secret” de la Corée et qui fait partie du processus éducationnel coréen.
Valentin de l’entreprise Bluebell évoque la culture du “Ppalli, Ppalli” qui signifie littéralement “vite, vite” en français. Les entreprises sud-coréennes sont pragmatiques et prennent les décisions vites. Tout doit aller vite. Paul de l’entreprise PwC, soulignait le côté fonceur des Coréens. Ils foncent dans une direction, puis adaptent très vite la trajectoire si besoin.
Il existe dans les entreprises sud-coréennes, une forme de “paternalisme protecteur” de la part des directeurs. Olivier de l’entreprise Asiance racontait que le directeur doit être présent dans les moments forts de la vie de ses employés (mariage, décès d’un proche etc..). Cédric, directeur Franco-Coréen de la FKCCI nous disait que le directeur coréen est légalement responsable en cas d’accident du travail. Ainsi, il prend soin de ses employés.
Des décisions rapides, un décisionnaire clairement identifié, une forte adaptabilité, des performances économiques impressionnantes : sur le papier le modèle sud-coréen paraît vraiment efficace. Dans les faits, il est efficace mais les conséquences sur la qualité de vie au travail sont considérables.
Efficace oui, mais à quel prix ?
La vie professionnelle et personnelle est clairement délimitée en Corée du Sud. Il est impossible de parler de ses émotions, de ses problèmes en entreprise. Les relations en journée sont très cordiales et professionnelles. Bryan de l’entreprise Adecco nous racontait qu’avant son arrivée, les équipes ne s’adressaient pratiquement pas la parole. La pression du résultat est forte, les journées de travail sont assez longues. Les questions psychologiques sont peu abordées en entreprises.
Les “chaebols” jouent encore un rôle essentiel dans l’économie malgré l’avènement de grandes startups. Ils demeurent la voie royale à suivre pour être valorisé socialement par son métier.
La pression pour rentrer dans ces groupes est immense et le mode de recrutement est très exigeant. Seules certaines universités permettent d’y accéder. Les enfants subissent une pression conséquente dès le plus jeune âge pour être sélectionné dans ces universités. Ainsi, nous avons vu des “écoles post-écoles”. Il s’agit d’écoles privées dans lesquelles les élèves sud-coréens sont inscrits après les cours. Nous avons vu des élèves d’une dizaine d’années sortir à 22 heures de ces endroits.
Le poids de la société est assez écrasant, la comparaison est présente partout et tout le temps. La parole commence à se libérer sur le sujet, notamment via des suicides très médiatisés comme celui de Kim Jong Hyun, star de K-pop.
D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux de suicide en Corée du Sud s’est élevé à 24,7 pour 100.000 personnes en 2018, le plus haut niveau parmi les pays membres de l’OCDE. Ce chiffre recensé en 2018 par l’OCDE est le double de la moyenne de l’organisation internationale rassemblant les pays riches (11,0 pour 100.000).
La culture du Hoesik, l’after work à la coréenne, est encore très présente. C’est un genre de rendez-vous professionnel, organisé au restaurant ou au bar après les horaires de travail. Officiellement, il ne fait pas partie du travail ; officieusement, il est conseillé d’y participer car cela permet de renforcer l’esprit collectif et les relations professionnelles. Paul de l’entreprise PwC nous expliquait que ces moments sont indispensables pour les travailleurs sud-coréens, pour décompresser et tisser des liens personnels.
Bryan de l’entreprise Adecco racontait que les décisions business importantes de l’entreprise se prenaient lors de ces moments avant son arrivée. Un moment qui mélange vie professionnelle et personnelle. Souvent arrosées, ces soirées peuvent être l’occasion pour certains employés d’exprimer leurs problèmes et de se livrer.
Cependant, ces soirées sont aussi très critiquées par une partie des Sud-Coréens :
– À cause de leur fréquence. Ces soirées peuvent avoir lieu plusieurs fois dans la semaine, parfois le week-end. L’employé n’est pas rémunéré pour y participer.
– À cause de l’équilibre vie pro/perso : ces soirées peuvent finir tard et empêchent d’avoir une vie familiale.
– À cause des inégalités de genre : elles peuvent être réservées uniquement aux hommes même si les mentalités changent depuis le covid.
Ainsi, le Hoesik contribue à cette culture collective qui ne respecte pas toujours les besoins personnels de l’individu.
Bouleversement du marché du travail ?
Nous parlions plus haut dans l’article du paradoxe entre modernité et tradition en Corée du Sud. La crise du covid a eu un véritable impact sur la vie professionnelle et les jeunes générations commencent à s’approprier des sujets de société.
Va-t-on assister à une révolution professionnelle du marché sud-coréen portée par les nouvelles générations ?
Une chose est certaine : les mentalités changent, lentement mais elles changent.
Cédric de la FKCCI nous expliquait que l’ancien président progressiste sud-coréen Moon Jae-in avait entamé certains chantiers : réduction du temps de travail légal (40 heures par semaine), lois sur l’équilibre vie professionnelle / personnelle. Moon fut porté au pouvoir par la jeunesse, désireuse de changement sociétaux et professionnels.
La crise du covid a eu un impact non négligeable sur les manières de travailler. Le télétravail a permis un meilleur équilibre de vie. Pendant le covid, les restaurants étaient fermés tôt, impossible donc de continuer la culture du Hoesik. De même, les temps de trajet sont conséquents à Séoul. Ainsi, le nombre d’heures passées dans le cadre professionnel s’est réduit.
Olivier de l’entreprise Asiance estime que les entreprises coréennes qui ne prennent pas le pli du télétravail ne parviendront plus à recruter de talents. Certaines entreprises s’adaptent même si le présentiel et la culture du face2face restent majoritaires. Le besoin de flexibilité existe bel et bien en Corée du Sud, en revanche il est encore difficilement applicable. Beaucoup d’accords commerciaux se font en présentiel et la confiance s’accorde encore difficilement à distance.
Les jeunes générations refusent de ne pas exister pour eux-mêmes, avec souvent le contre-exemple de leurs parents qui constituent la génération sacrifiée (beaucoup de travail et de sacrifice pour sortir le pays de la pauvreté). Ils refusent parfois de faire des enfants pour ne pas subir la pression de l’éducation.
L’entrepreneuriat se diffuse et de nouvelles startups viennent bouleverser la culture managériale sud-coréenne. Minkee Kim, de l’entreprise Protopie évoquait la transformation de l’écosystème entrepreneurial sous l’impulsion de licorne comme Naver ou Kakao.
Ces startups ont des idées nouvelles et séduisent les jeunes talents, ce qui poussent les chaebols à réagir. Romain, de l’entreprise LG a vu ces évolutions depuis qu’il travaille dans l’entreprise. Il nous parle notamment de la flexibilité des horaires de travail (40 heures par semaine, minimum 4 heures par jour), de la tenue de travail (il peut travailler en short), de relations plus apaisées (hiérarchie forte mais possibilité de discuter) ou encore de l’existence d’un junior board pour améliorer la vie de l’entreprise.
Avec l’ouverture de la Corée du Sud sur le monde, beaucoup d’étudiants ont eu l’occasion de voyager au Canada, en Europe ou aux États-Unis. Parmi eux, certains ont vécu et travaillé plusieurs années dans ces pays. Ils reviennent en Corée du Sud avec une mentalité différente et influencent les manières de travailler. C’est le cas de Jason Minkee Kim de l’entreprise Protopie ou David Taehyung Kim de l’entreprise Soma, deux Coréo-Américains, à l’origine du lancement de WeWork (espace de coworking très éloigné de l’organisation traditionnelle des bureaux en Corée du Sud) à Séoul.
Les questions psychologiques commencent à se diffuser dans la société, notamment dans les films. Isabelle, Innovation Manager chez Rainmaking expliquait que la figure du psychiatre est passée du presque fou au héros aujourd’hui dans les films.
Malgré les évolutions évoquées, les résistances aux changements demeurent fortes et certains points sont encore trop structurants socialement pour changer.
Nous avons été très surpris d’une discussion avec Eunjoo Lee, une jeune employée de l’entreprise FKCCI. Contrairement à ce que l’on pensait, elle ne souhaite pas supprimer les titres en entreprises car ils restent encore aujourd’hui encore trop importants socialement.
De même, l’absence de Hoesik dans certaines entreprises pose problème : il n’y a plus de moment de partage entre les équipes. De plus, les résistances sont fortes du côté des managers qui souhaitent perpétuer cette pratique. La hiérarchie demeure, le contrôle également. Les inégalités hommes-femmes sont encore très importantes.
Conclusion :
Nous aimons cette réponse d’Eunjoo lorsque nous l’interrogeons sur le bonheur au travail.
Elle nous explique que le travail en lui-même donne une existence sociale qui est indispensable à l’équilibre social et donc personnel. Ainsi, le statut professionnel prend le dessus sur les problématiques quotidiennes qui l’accompagnent (pression, culture du contrôle, équilibre pro/perso…).
Avec un statut professionnel en dessous de ses attentes, elle serait malheureuse. Dès lors, la question du bonheur au travail n’est pas la même que chez nous, les combats non plus.
La Corée du Sud nous a captivé ! Un pays fascinant qui a suscité notre curiosité sur le rapport à la performance, au statut professionnel, la prise de décision et la hiérarchie. Un pays qui prend le contrepied de ce que nous avions vu avant (horizontalité, flexibilité …) et qui nous a autant inspiré.











👉 Le Vietnam
Notre ressenti :
Nous avons terminé notre Odyssée en s’installant à Hanoï pendant plus de 3 semaines ! Les premiers pas dans la ville sont inoubliables, les odeurs de nourriture, les bruits de klaxon des scooters, la chaleur, l’humidité contrastent avec la tranquillité de notre quartier en Corée du Sud. Le pays est en pleine croissance et cela se voit, cela s’entend.
La différence Nord / Sud du pays :
Le premier point qui ressort de nos différents échanges, surtout avec les expatriés français c’est la différence marquée entre le Nord et le Sud .
Selon Sophie, directrice de la CCI France Vietnam, l’empreinte française et américaine laissée par les guerres se ressent dans le Sud. Plus capitaliste, plus occidental, moins politique, la région est menée par la locomotive et capitale économique Hô-Chi-Minh qui représente 30% du PIB du pays.
Nous ne visiterons pas cette région, mais elle semble contraster avec la capitale politique d’Hanoï, où les signes de propagandes et les palais du parti unique communiste donnent le ton.
Très rapidement nos interlocuteurs évoquent aussi “les communautés”, des groupes sociaux auxquels chaque individu peut-être rattaché comme la famille, des groupes d’ancien étudiant, équipe de sport etc … et la différence d’importance de ces communautés dans les deux régions. Interagir avec ces communautés dans le Nord est indispensable pour trouver un travail ou créer de la valeur. Ce qui est moins le cas dans le sud du pays.
Plus que les communautés, Rémi, directeur général de MLR Advisory nous parle de “protecteurs”, personnes qui vous aideront à faire face à l’administration vietnamienne (concentrée à Hanoï) qui reste malgré tout un pays encore assez corrompu (94 sur 180 selon l’indice de perception de la corruption). Ces protecteurs qui peuvent-être des entreprises locales avec qui s’associer, peuvent-être primordiaux s’ il y a une mauvaise appréciation de la loi (taxe, loyer, administration, contrat, etc …).
Comme dit Rémi : “quand tu fais ton PESTEL au Vietnam, il faut s’attarder sur le P, mais c’est passionnant”
L’influence du confucianisme :
Au même titre que la Corée du sud, la culture vietnamienne est fortement influencée par les valeurs prônées par le confucianisme.
– La famille : constitue le groupe social le plus important au Vietnam, nous l’observons le soir lors des dîners où toutes les familles se retrouvent dans les nombreux restaurants des rues d’Hanoï, lors des marchés de nuit, où la plupart des business sont familiaux. Il est d’ailleurs courant de voir plusieurs générations vivre sous le même toit (jusqu’au grands-parents).

Le collectif : la collectivité est placée au-dessus de l’individu. Sophie nous explique qu’une grande partie des caractéristiques culturelles du pays sont en partie façonnées par sa culture du riz. Historiquement, ce type de production était onéreux, à forte intensité de main-d’œuvre et ne pouvait être réalisé individuellement. La coopération était donc essentielle. Nous avons pu le voir de nos propres yeux en visitant le nord du Vietnam (boucle d’Ha-Giang) après l’Odyssée, notamment des enfants aidant leur parent dans la culture du maïs.

Le respect de l’autorité : La société vietnamienne est très hiérarchisée avec un fort accent sur l’âge, le statut social et la profession. Ce système se caractérise par l’obéissance et le respect envers les parents ainsi que les aînés, le fait de considérer les enseignants comme des « maîtres », et en entreprise le respect des promotions liées à l’ancienneté. Souvent en réunion, au Vietnam, une seule personne parle et c’est le ou la CEO.
L’accent mis sur l’éducation : Il est courant que les parents fassent d’énormes sacrifices pour l’éducation de leurs enfants. D’ailleurs nous avons été très surpris du niveau d’anglais des jeunes vietnamiens qui nous abordaient dans la rue.
Family Business & entrepreneuriat de survie :
Autre contraste avec la Corée du Sud, l’entrepreneuriat et les business familiaux vietnamiens !
En rencontrant Quentin, Country Manager de Schoolab Vietnam et Rémi de MLR Advisory, nous comprenons que beaucoup de locaux ont un “business familial” à côté de leur emploi principal.
Quentin prend l’exemple de l’une des ses employés qui vend aussi des paniers de fruits, légumes, œufs sur internet tout en s’occupant en parallèle du marketing du website de son mari ébéniste. Avec une croissance folle dans le pays (6% sur les 10 dernières années, et 8% à venir en 2022), tout projet entrepreneurial peut être une opportunité économique pour les Vietnamiens.
Cependant, Rémi nous parle d’un entrepreneuriat de subsistance : “Quand les salaires sont bas, que fais-tu ? tu te débrouilles, tu fais plusieurs métiers dans la journée. Mais le jour où le Vietnam sera plus développé, cette volonté d’entreprendre, d’innover sera très positive”
Quoi qu’il arrive, les Vietnamiens pourront toujours reposer sur leur famille, relai d’un État qui préfère s’occuper de la sécurité.
Ce qui peut poser problème pour les chefs d’entreprise ! En effet, Quentin nous explique qu’il est assez frustrant d’investir du temps sur les talents vietnamiens en sachant qu’ils peuvent quitter l’entreprise du jour au lendemain. Par exemple, le taux de turnover dans l’IT est entre 30 et 40%. Plein emploi, business familial, entraide familiale, croissance économique fulgurante, autant d’arguments qui poussent l’employé à partir, parfois du jour au lendemain, sans regretter.
Une des pistes pour éviter cette situation c’est l’investissement dans le “people development”, team building, formations et activités pour augmenter le taux de rétention en entreprise. Investir dans la personne pour qu’elle se sente concernée. Quentin nous donna l’exemple d’une entreprise qui venait d’investir 1000$ par salarié pour un séminaire.
Observations & pratiques intéressantes :
Tout d’abord à l’instar de la Corée du Sud, nous retrouvons une hiérarchie extrêmement marquée dans les entreprises. Peu importe si le contrat est minime et le nombre de salariés gigantesque, le CEO aura le dernier mot. D’ailleurs les prises de décision sont plus longues car doivent passer par l’ensemble de la hiérarchie. Sophie nous dit “Si vous ne connaissez pas le top management, cela peut prendre des mois”
Une pratique courante dans les bureaux d’Hanoï est d’enlever ses chaussures avant d’entrer dans le bureau ! Pour Tuong Vu Van, directeur vietnamien d‘Éco-mobile, cela permet aux salariés de se sentir “plus à la maison”.
Enfin une pratique géniale, celle de la sieste ! Elle est religion au Vietnam et dure presque 1 h. Tuong Vu Van, pourtant CEO, n’hésite d’ailleurs pas à montrer l’exemple à ses salariés pour qu’il n’y ait pas de mauvais jugements ou perceptions d’autres salariés sur la pratique !