Pour des raisons de simplicité dans la lecture et sans discrimination aucune, la forme masculine sera utilisée pour parler du masculin
đ Le contexte
AprĂšs trois semaines passĂ©es en Colombie, la quatriĂšme Ă©tape de notre OdyssĂ©e sâest achevĂ©e mercredi 27 avril 2022.
ÂĄ QuĂ© chimba ! La rencontre de 14 collaborateurs, 12 entreprises et de nombreux âPaisasâ Ă MedellĂn et âRolosâ Ă BogotĂĄ nous a permis dâapprĂ©hender la culture managĂ©riale et sociĂ©tale colombienne.
Comme pour la NorvĂšge, lâIslande et le BrĂ©sil, notre comprĂ©hension de la culture colombienne nâest Ă©videmment pas exhaustive, et les exemples que nous vous donnerons ne reflĂštent pas le comportement de toutes les entreprises colombiennes. Pour autant, les points que nous mettons en avant Ă travers cet article sont ressortis rĂ©guliĂšrement dans nos discussions.
Buena lectura ! đšđŽ (Bonne lecture)
đ La Colombie
Lors de notre passage Ă Rio de Janeiro, les sujets de violence, de pauvretĂ© et dâinĂ©galitĂ©s furent trĂšs prĂ©sents. Lorsque nous discutions avec les locaux des solutions envisageables pour amĂ©liorer la situation, lâexemple de la transformation miracle de MedellĂn est rĂ©guliĂšrement apparu.
Mais de quelle transformation parle-t-on ? Nous avons Ă ce moment-lĂ quelques Ă priori sur la ville et ignorons une grande partie de son histoire Ă lâexception de la pĂ©riode Escobar.
En 1991, avec 381 morts violentes pour 100 000 habitants, MedellĂn connaĂźt le ratio dâhomicides le plus Ă©levĂ© au monde. Des zones grises, sans contrĂŽle des pouvoirs publics, se dĂ©veloppent dans la ville. La situation paraĂźt entiĂšrement hors de contrĂŽle. Les investissements chutent, la confiance disparaĂźt, la Colombie devient, dans lâimaginaire europĂ©en et amĂ©ricain, un pays dangereux.
Pourtant, en 2013, elle reçoit le prix de la ville « la plus innovante du monde » par le Urban Land. Cinq ans plus tard, le site de voyages TripAdvisor parle de MedellĂn comme la âdestination dâAmĂ©rique du Sud la plus en vueâ, soulignant la sĂ©curitĂ© qui y rĂšgne et sa rĂ©putation.
Comment expliquer une telle transformation ?
Nous avons passĂ© deux semaines Ă MedellĂn, âVille de lâĂ©ternel Printempsâ, et compris certains constituants de cette transformation. Nous dĂ©velopperons dans cet article des points marquants comme lâaccĂšs aux transports, lâĂ©ducation, la positivitĂ© ou encore la crĂ©ativitĂ©, qui expliquent, selon nous, une partie du miracle de MedellĂn
Quel lien entre le management et la ville de MedellĂn ?
Au fur et Ă mesure de nos rencontres dâentreprises, nous nous sommes rendus compte que nous retrouvions des Ă©lĂ©ments conjoints avec ceux qui expliquent la transformation de la ville. Nous pensons que ces Ă©lĂ©ments sont trĂšs inspirants pour les entreprises.
đ PositivitĂ©, espoir et rĂ©silience
Les habitants de MedellĂn ont, pour la plupart, souffert du passĂ© violent de la ville. Le poids de lâhistoire est dâautant plus important que ce passĂ© est trĂšs rĂ©cent.
Cependant, nous ressentons rapidement un fort optimisme et une grande positivité dans nos interactions avec les locaux.
Nous percevons concrĂštement cet optimisme, lors de notre visite de la place San Antonio avec notre guide touristique, Carolina, nĂ©e Ă MedellĂn.
Sur cette place se trouvent deux sculptures dâoiseaux, dont une partiellement dĂ©truite. Face Ă notre curiositĂ©, Carolina nous raconte lâhistoire du lieu.
La place San Antonio a Ă©tĂ© inaugurĂ©e en 1994 en tant que centre culturel. En 1995, un individu pose une bombe dans la sculpture de Fernando Botero, cĂ©lĂšbre artiste colombien. La bombe a explosĂ© lors d’un concert et tuĂ© des innocents.
Face Ă cette tragĂ©die, la mairie de MedellĂn souhaita retirer la sculpture de lâoiseau. Fernando Botero appela le maire, en proposant de laisser la sculpture dĂ©truite et de construire la mĂȘme, neuve, juste Ă cĂŽtĂ©.
La symbolique derriĂšre cet acte est forte et traduit la mentalitĂ© des habitants, nous explique Carolina : le premier oiseau, dĂ©truit, symbolise lâaspect tragique de lâhistoire de la ville, ses difficultĂ©s, sa violence. Le second oiseau, identique au premier mais reconstruit Ă neuf, est un symbole de paix, dâespoir, d’optimisme.
Les deux oiseaux sont cĂŽte Ă cĂŽte pour indiquer que la souffrance est bien prĂ©sente, quâelle ne doit pas ĂȘtre oubliĂ©e, mais que les habitants vont reconstruire ensemble, grĂące Ă leur rĂ©silience, un futur rempli dâespoir et dâoptimisme.
Nous retrouvons cette vision lors de plusieurs visites dâentreprises. MarĂa, directrice du Club de InnovaciĂłn Colombia nous raconte les grandes difficultĂ©s quâelle a dĂ» affronter lors du lancement de ce club centrĂ© sur lâinnovation (Ă©cosystĂšme dâinnovation quasi inexistant, corruption, le fait de se lancer en Ă©tant une femme âŠ). MĂȘme constat lors de nos Ă©changes avec Paola, engagĂ©e dans la transformation de la ville au centre dâinnovation RutaN ou avec Juliana fondatrice de CreativeLab.
Cependant, Ă chaque fois, nous percevons une grande rĂ©silience, une capacitĂ© d’adaptation Ă lâimprĂ©vu, Ă la difficultĂ© et surtout beaucoup dâoptimisme et de recul par rapport aux situations difficiles.
Comme si la difficultĂ© et lâoptimisme Ă©taient les deux faces dâune mĂȘme piĂšce. Ăvidemment, ces comportements en entreprise nous paraissent indissociables de lâhistoire de la ville et du quotidien des habitants.
Pour faire face à la difficulté, nous avons également été étonnés de la capacité de créativité des entreprises et des habitants. Faire beaucoup avec rien, innover, penser différemment.
đ La crĂ©ativitĂ©
Nous comprenons lâampleur de la crĂ©ativitĂ© des habitants de MedellĂn lors de notre visite de la Comuna 13.
La Comuna 13 est un quartier de MedellĂn, longtemps considĂ©rĂ© comme une zone stratĂ©gique du trafic de drogues. Dans les annĂ©es 1980 et 1990, la Comuna 13 Ă©tait considĂ©rĂ©e comme l’un des quartiers les plus dangereux du monde. Il Ă©tait dirigĂ© par de violentes organisations de trafiquants de drogue, qui utilisaient ce barrio pauvre et Ă©tendu Ă flanc de colline comme voie de transit pour entrer et sortir de la ville, et servait de bastion aux guĂ©rillas, aux gangs et aux paramilitaires.
Nous vous parlions dâhistoire et de traumatismes rĂ©cents : en 2002 le prĂ©sident Alvaro Uribe a lancĂ© l’opĂ©ration Orion, un raid sur la Comuna 13 menĂ© par 3 000 soldats. Au cours de la premiĂšre semaine du raid, au moins 18 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es, 34 blessĂ©es et prĂšs de 250 arrĂȘtĂ©es. Les 100 000 habitants du quartier ont Ă©tĂ© pris entre deux feux, ce qui a entraĂźnĂ© des dĂ©tentions arbitraires, des disparitions et des centaines de blessĂ©s.
Julio, notre guide, natif de la Comuna 13, nous explique quâaujourdâhui encore, certaines disparitions nâont jamais Ă©tĂ© Ă©lucidĂ©es et que de nombreux habitants du quartier, dont sa famille, ont souffert et souffrent encore de ce passĂ©.Â
NĂ©anmoins, lors de notre visite de la Comuna, nous ressentons au milieu dâune pauvretĂ© bien visible, une Ă©nergie incroyable, beaucoup de positivitĂ© et de joie. Nous sommes trĂšs surpris de la quantitĂ© de fresques, de peinture, de crĂ©ation et de personnes en train de danser. Toute cette crĂ©ativitĂ© est, selon Julio, un moyen pour les habitants du quartier dâexprimer leur colĂšre et leurs espoirs. Il ajoute que cette crĂ©ativitĂ© a permis Ă la Comuna de devenir un lieu touristique majeur de la ville, de crĂ©er des richesses nouvelles et dâenclencher un cercle vertueux Ă nouveau.
Nous retrouvons cette forte crĂ©ativitĂ© dans les entreprises que nous rencontrons. Roger, CEO de lâentreprise CreativeLab, nous prĂ©sente la pratique de la âbebidaâ.
Pour intĂ©grer un nouvel employĂ©, les Ă©quipes se retrouvent autour dâune boisson commune. Le nouvel employĂ© doit par la suite se prĂ©senter, raconter son histoire, en utilisant 5 emojis. Il ne doit rien dire sur ces 5 emojis et ce sont les autres collaborateurs qui doivent essayer de deviner lâhistoire qui est racontĂ©e.
De mĂȘme, pour se prĂ©senter aux nouveaux clients, lâentreprise envoie une boĂźte en carton remplie de jeux crĂ©atifs. Le but est de faire dĂ©couvrir la mentalitĂ© de CreativeLab et d’entamer positivement la nouvelle collaboration.
La crĂ©ativitĂ© se retrouve dans les entreprises colombiennes que nous avons rencontrĂ©es et dans lâhistoire de la ville. Cependant, la transformation de la Comuna 13 et de la ville de MedellĂn sâexplique aussi par dâautres Ă©lĂ©ments comme la mobilitĂ©, Ă travers un accĂšs aux transports simplifiĂ©.
đ La mobilitĂ© et lâaccĂšs aux transports
Lors de notre visite de la Comuna 13, nous avons compris lâimportance de lâaccessibilitĂ© dans le dĂ©veloppement dâun espace. En effet, la Comuna est construite en hauteur, sur des collines. Julio, notre guide, nous explique que se rendre chez soi lorsque lâon habite Ă la Comuna 13 correspond Ă monter, Ă pied, lâĂ©quivalent de 25 Ă©tages. Sans transport, les habitants nâavaient pas forcĂ©ment accĂšs au reste de la ville, et, ce faisant, Ă des espaces plus dynamiques Ă©conomiquement. Un cercle vicieux sâinstalle alors.
Depuis la fin des annĂ©es 1990 et le dĂ©but de la transformation de la ville, les pouvoirs publics ont axĂ© les politiques de dĂ©veloppement sur les quartiers les plus pauvres afin de crĂ©er un bouleversement des quartiers, des conditions de vie et donc des mentalitĂ©s. Cette doctrine du âplus beau pour les plus pauvresâ a menĂ© Ă la crĂ©ation en 2004 de la premiĂšre tĂ©lĂ©cabine monocĂąble Ă MedellĂn. Lâinnovation de la ville rĂ©side dans lâutilisation de ces cĂ©lĂšbres âMetrocableâ comme moyen de transport urbain de masse pour ses habitants. Il y a maintenant 6 lignes, directement connectĂ©es au mĂ©tro et au tramway par des stations multimodales. Les Metrocables relient gĂ©ographiquement et socialement les quartiers isolĂ©s et amĂ©liorent la qualitĂ© de vie de ses habitants en leur offrant un accĂšs plus rapide, plus sĂ»r et plus fiable aux emplois et aux services du centre-ville.
Nous avons eu la chance de rencontrer Renaud, CEO de lâentreprise Poma Ă MedellĂn. Poma est une entreprise française spĂ©cialisĂ©e dans la fabrication de systĂšmes de transport par cĂąble. Lâentreprise sâest occupĂ©e de la construction dâune grande partie des lignes de âMetrocableâ. Renaud nous raconte lors de notre Ă©change lâimpact de ces transports sur les locaux et les aspects bĂ©nĂ©fiques.
Le mĂ©tro de MedellĂn est Ă©galement une innovation majeure de la ville. Le 30 novembre 1995 Ă 11h00, lâexploitation commerciale du mĂ©tro de MedellĂn est lancĂ©e. La ville est alors clivĂ©e entre quartiers riches et pauvres. La construction du mĂ©tro est un exemple de continuitĂ© des politiques publiques. Pendant les travaux, plusieurs maires se sont succĂ©dĂ©s et pourtant, la construction du mĂ©tro a continuĂ©. Les âPaisasâ sont trĂšs fiers de ce mĂ©tro, ce que lâon peut constater avec la propretĂ© impressionnante de ce dernier.
đ Lâimportance de lâĂ©ducation
Dans la transformation de la ville, le projet Ă©ducatif est intĂ©grĂ© trĂšs en amont pour dĂ©velopper le sentiment de responsabilitĂ© sociale des habitants vis-Ă -vis de la ville. Par exemple, notre guide Julio, nous demande de ne pas donner dâargent Ă des enfants qui nous abordent lors de notre visite de la Comuna 13. Il nous explique quâil est primordial que ces enfants aillent Ă lâĂ©cole et que sâils commencent Ă trouver des sources de revenus ils nâiront plus. MĂȘme constat du cĂŽtĂ© de Renaud de lâentreprise Poma. Il nous expliquait les difficultĂ©s dâacceptation de ces infrastructures de transport dans ces espaces et la nĂ©cessitĂ© dâexpliquer aux habitants les bĂ©nĂ©fices potentiels via des moments Ă©ducatifs sur le sujet. Pour cela, Poma a investi du temps et de lâargent dans des projets Ă©ducatifs sur ces questions.
Nous parlions plus tĂŽt dans lâarticle de lâincertitude qui rĂ©gnait et qui rĂšgne encore aujourdâhui dans le pays. Pas Ă©tonnant dĂšs lors que nous ayons rencontrĂ© Camilo, directeur de l’Ă©cole QuĂĄntica Education en Colombie, lâĂ©cole qui apprend Ă gĂ©rer lâincertitude et le chaos.
Celle-ci s’appuie sur un modĂšle d’Ă©ducation diffĂ©rent de ce que nous connaissons : le Chaordic Model.

Dans ce modĂšle, il faut comprendre que :
– Chaos = Zone dâinconfort đ±
– Order = Zone de confort đ
Avec le Chaordic Model, Quantica met les Ă©lĂšves au dĂ©fi de crĂ©er, de concevoir, d’explorer par eux-mĂȘmes, en les poussant hors de leur zone de confort (divergence et chaos) tout en leur partageant la thĂ©orie, des guides et les outils (convergence et ordre) pour donner du sens Ă l’apprentissage expĂ©rientiel afin de mieux intĂ©rioriser et l’appliquer.
Un des exercices effectuĂ© est celui sur l’indĂ©pendance Ă©motionnelle. đ€
Camilo nous affirme que lâhumain attend une rĂ©action de son auditoire lorsquâil annonce une bonne ou mauvaise nouvelle. De la joie, de la reconnaissance si elle est bonne, du rĂ©confort si elle est mauvaise. Lâexercice ici consiste Ă ne pas dĂ©pendre de ces rĂ©actions et de sâauto-suffire Ă©motionnellement.
Camilo demande alors Ă lâun de ses participants dâannoncer une trĂšs mauvaise nouvelle (âJâai perdu mon travail hierâ, âmon chien est mortâ) ou au contraire une superbe nouvelle (âmon premier enfant est nĂ©â, âje viens dâĂȘtre embauchĂ© par lâentreprise de mes rĂȘvesâ) devant une grande assemblĂ©e qui aura la mission de ne pas avoir une once de rĂ©action Ă la nouvelle.
Selon Camilo et nous le rejoignons : âat the end of the day, the first and most vital connection and relationship you have is with yourselfâ
đ Les limites
Nous avons prĂ©sentĂ© ici le miracle de la transformation de MedellĂn et les liens que nous pouvions en faire avec les bonnes pratiques de management. Cependant, certaines limites et difficultĂ©s perdurent et ne doivent pas ĂȘtre oubliĂ©es.
– Le sentiment dâinsĂ©curitĂ© existe toujours : un soir dans notre auberge, nous rencontrons Alejandro, un colombien de 22 ans. AprĂšs plusieurs minutes de discussion et notre admiration devant la ville de MedellĂn, Alejandro nous explique quâil souhaite finir ses Ă©tudes en Colombie et, partir dĂšs que possible en Europe. Face Ă notre interrogation, il nous explique que le sentiment dâinsĂ©curitĂ© est encore trĂšs prĂ©sent dans le pays et notamment Ă MedellĂn. Ăvidemment, tout nâest pas parfait dans la ville de MedellĂn et les enjeux de dĂ©veloppement restent encore trĂšs importants.
– En entreprise, plusieurs professionnels nous expliquent que les journĂ©es de travail en Colombie sont trĂšs longues et souvent assez peu productives. Les Colombiens travaillent rĂ©guliĂšrement le week-end. Le nombre d’heures lĂ©gales de travail est de 48 heures. La logique de âcommand and control’ existe encore dans beaucoup dâentreprises.
đ Conclusion Â
Lorsque lâon Ă©crit le mot âMedellĂnâ dans la barre de recherche Google, la premiĂšre question qui apparaĂźt est la suivante :
Nous espĂ©rons que cet article changera votre vision de la ville de MedellĂn et les prĂ©jugĂ©s que nous avons.
Cette ville restera un grand coup de cĆur de notre voyage et notre passage ici nous aura Ă©normĂ©ment inspirĂ© pour le reste de notre aventure et notre rapport Ă lâincertitude, aux difficultĂ©s.
đ Pour aller plus loin
https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/medellin-transformation-durable-dune-ville :
http://www.terra21.fr/Medellin-retour-sur-la-chronologie-de-la-transformation
https://www.atlasobscura.com/places/comuna-13