Pour des raisons de simplicité dans la lecture et sans discrimination aucune, la forme masculine sera utilisée pour parler du masculin et du féminin.
👉 Le contexte
Après plus de deux semaines passées en Islande, notre seconde étape s’est achevée le jeudi 10 mars. Quelle aventure ! Cette île d’environ 360 000 habitants n’a eu de cesse de nous surprendre par ses innovations managériales, sa culture, son agilité, son climat, sa beauté.
Via la rencontre de plusieurs entreprises locales et de pionniers sur le sujet de l’innovation managériale en Islande, nous avons tenté d’appréhender la culture du pays et son impact sur la manière de manager.
Góð lesning ! (Bonne lecture)
👉 Les points culturels marquants
Plusieurs aspects culturels nous ont marqués :
– L’agilité et la capacité d’adaptation des Islandais aux imprévus (en lien avec un climat changeant et extrême) : Les islandais ont l’habitude de faire face à des conditions météorologiques extrêmes et incertaines (vous pouvez très bien avoir de la pluie, neige, grêle, soleil et nuage dans une même journée à Reykjavik pendant qu’à 100 km un volcan entre en éruption) que cela semble avoir des conséquences sur leurs comportements en entreprise ! Pétur Arasson, pionnier de l’innovation managériale islandais, CEO de l’entreprise Manino nous l’affirme “Je déteste planifier« . Même son de cloche auprès de notre guide lorsque nous avons visité l’une des caves du plus grand glacier d’Europe Vatnajökull : “En 40 ans, je n’ai jamais prévu un week-end à l’avance en Islande”
– Cette agilité va de pair avec leur culture de l’action, du “do it” couplée à une positivité à toute épreuve : Pétur nous l’annonce, les islandais aiment penser “No matter how it is done, it will work”. Il prend l’exemple de la première participation de l’Islande au championnat d’Europe de football en 2016. L’équipe nationale avait surpris son monde en atteignant les quarts de finale et en éliminant l’équipe d’Angleterre pour sa première participation à un euro de football.
– Leur faible sentiment de hiérarchie au même titre que la Norvège ou encore leur sérénité par rapport au futur : Eldar de l’entreprise Crowd Control Productions nous explique que l’organisation de l’entreprise reste hiérarchique (managers, N+1, N+2, board etc …) mais que, dans les faits, celle-ci ne se ressent pas vraiment. Chaque personne est accessible, même dans les grandes structures. Pétur, de l’entreprise Manino, nous explique par ailleurs que les Islandais n’apprécient pas vraiment la hiérarchie et l’autorité. Selon lui, cela pourrait s’expliquer en partie par la quasi-inexistence de l’armée islandaise, symbole ultime dans l’imaginaire humain d’une organisation hiérarchique bien définie.
Un autre sujet a particulièrement attiré notre attention au fil de nos rencontres :l’égalité entre les femmes et les hommes, primordial pour le peuple islandais.
Première nation au Gender Gap Index du Forum Économique Mondial, nous nous sommes demandés durant notre séjour comment le pays était devenu pionnier dans la lutte contre les inégalités de genre.

Nous vous proposons des éléments de réponse dans cet article public à travers les prismes éducationnels, politiques et législatifs et nos rencontres avec les entreprises islandaises.
👉 Le constat
L’égalité des genres est un sujet primordial en Islande. Les résultats sont bien présents et nous avons pu observer sur place l’importance du sujet au yeux des Islandais que nous avons rencontrés.
– L’Islande a comblé près de 90 % des inégalités de genre selon le Forum Économique Mondial.
– Depuis maintenant 9 ans, l’Islande est en tête du Gender Gap Index, un classement établi selon le niveau d’égalité et de distribution des opportunités entre les femmes et les hommes par le Forum Économique Mondial.
– Le taux d’emploi des Islandaises est très élevé (83 % en 2019, selon Eurostat, contre 66,8 % dans la zone euro). Elles sont mieux représentées au Parlement, dans les ministères et les administrations que dans la plupart des pays européens.
– Selon les dernières données d’Eurostat, l’écart de salaire horaire moyen homme-femme y était de 13,9 % en 2019, contre 15 % dans la zone euro et 16,5 % en France. À poste et qualifications comparables, l’écart tombe à 4,3 %, contre 6,2 % en 2010, d’après Statistics Iceland.
– Les Islandais sont pionniers sur ces sujets et tentent d’impliquer les autres pays dans ce combat : l’Islande est à l’origine de la Journée internationale de l’égalité de rémunération. Cet événement a été créé en 2019 sous l’égide de la Coalition internationale pour l’égalité salariale. Son objectif est d’approfondir les mesures concrètes pour réduire les écarts de rémunération entre les sexes d’ici à 2030, et ce, sur tous les continents. Cette année, l’accent a été notamment mis sur les efforts à fournir après la pandémie de Covid-19 car celle-ci a creusé un peu plus encore ces écarts de salaire, estimés à 20 % en moyenne dans le monde en 2019.
Lors de nos rencontres professionnelles et amicales avec des Islandais, nous avons pris conscience de l’importance du sujet. En effet, 70 % des professionnels rencontrés étaient des hommes et, tous, sans exception, ont évoqué la nécessité de réduire les inégalités de genre sans même que nous posions la question. Tandis que le sujet de la confiance revenait régulièrement durant nos échanges en Norvège, c’est celui de l’égalité des genres qui fut évoqué le plus spontanément en Islande.
Alors comment expliquer l’importance du sujet en Islande et les très bons résultats du pays en matière de réduction des inégalités des genres ?
👉 Une histoire marquante
L’Islande est depuis longtemps, un pays pionnier en matière de lutte contre les inégalités de genre.
Les acquis sociaux en termes d’égalité des chances sont souvent le résultat de luttes et les Islandaises se sont illustrées dans ce domaine à de nombreuses reprises.
Le 24 octobre 1975, alors que les femmes islandaises gagnent 60 % de moins que les hommes, 90 % des Islandaises arrêtent leurs activités au travail pour défendre leurs droits, demander une augmentation de salaire et une reconnaissance accrue de leur rôle dans la société. Cette manifestation fut aussi un moyen pour les femmes de montrer que leur activité était nécessaire au fonctionnement du pays. Cette date marque le début d’un mouvement d’émancipation des femmes islandaises.
Ce mouvement mène à la création, en 1983, de l’Alliance des femmes, un parti politique permettant l’entrée des femmes au Parlement. Cinq ans après cette manifestation historique, l’Islandaise Vigdís Finnbogadóttir, devient la première femme du monde à être élue présidente au suffrage universel direct.
En septembre 2021, lors des élections législatives, 47,6% des sièges sont occupés par des femmes, un record dans l’histoire politique européenne.
👉 L’importance de l’éducation
Pétur Arason nous affirme lors de l’un de nos échanges : “Tout cela doit commencer avec l’éducation”.
Pour nous prouver que l’Islande s’empare du sujet d’égalité femme-homme et dès le plus jeune âge, il nous suggère de rencontrer une “Hjalli Model School”, une école maternelle à la méthode d’enseignement unique créée et fondée par Margrét Pála Ólafsdóttir en 1989.
Un des moments les plus forts de notre Odyssée.
Très connues en Islande (les listes d’attente pour inscrire son enfant sont interminables) les écoles Hjalli accueillent aujourd’hui 2000 enfants et emploient 500 salariés.
La plus grande mission de Margrét à travers le Hjalli model est de pouvoir proposer aux filles et aux garçons la même expérience éducative, les mêmes challenges, sans discrimination genrée.
Elle souhaite entraîner chacune et chacun à dépasser les comportements traditionnels attribués aux garçons (des garçons forts, autonomes et insensibles) et aux filles (sensibles, empathiques, silencieuses) qu’elle observait dans ses anciennes expériences en écoles élémentaires et dont les stéréotypes sont alimentés par des équipes éducatives qui manquent souvent de sensibilisation autour du sujet. Elle insiste notamment sur l’appellation et la manière de s’adresser aux filles (souvent désignées par groupe “vous êtes belles, plus sages que les garçons etc..” et aux garçons (communication individuelle “tu es fort, tu es turbulent) mais aussi sur l’attention portée aux deux genres. Le fait que les garçons puissent demander plus d’attention de la part du corps éducatif (question de comportement), peut selon Margrét, pousser les filles à traverser un système éducatif entier en observant qu’elles sont moins importantes que les garçons.
Pour Margrét, s’impose alors un travail de compensation des stéréotypes véhiculés par la société que tous les enfants rencontrent quotidiennement.
Pour cela, le modèle Hjalli compte sur la non mixité des classes pour donner la même attention à chacune et chacun, même s’il est évident pour Margrét que des activités mixtes doivent avoir lieu dans la journée.
Ainsi, filles et garçons doivent se rencontrer 1 h par jour pour s’entraîner à créer une complicité, à se respecter, à s’amuser.
Voici d’autres exercices qui sont mis en place quotidiennement dans l’école et qui nous ont surpris :
– Exercice tonique tous les matins pour les filles durant les retrouvailles alors que les garçons s’exercent à la méditation.
– Les filles s’entraînent à crier “nous sommes fortes”, “nous pouvons accomplir tout ce que nous voulons” tandis que les garçons se complimentent en cercle. (nous avons participé à cette séance de compliment, un moment inoubliable).
– Des déplacements dans l’école, toujours à deux pour les garçons en se tenant la main alors que les filles doivent se déplacer seules dans les couloirs.
– Marcher pied nus dans la neige et sur des petits cailloux pour les filles pour renforcer leur courage !
Selon Margrét, pour les garçons, il faut aussi refuser les stéréotypes. Champ libre pour chahuter, mais ils apprennent aussi à se montrer affectueux. Pour la directrice : « les femmes et les filles ne doivent pas avoir le monopole des émotions ».

Un travail de fond, effectué dès le plus jeune âge, qui participe à dessiner un socle robuste dans la lutte contre les inégalités de genre.
👉 Les avancées au sein des entreprises
L’île se distingue sur le sujet dans le monde professionnel avec la loi dite de « L’inversion de charge de la preuve ». En effet, depuis le 1er janvier 2018, l’Islande est le premier pays du monde où la parité salariale est obligatoire et contrôlée.
Cette loi, applicable à toutes les entreprises de plus 25 employés et les administrations islandaises, s’appuie sur un principe de charge inversé : désormais, ce n’est plus aux femmes de prouver qu’elles gagnent moins d’argent en raison de leur sexe, mais aux entreprises de justifier en amont que si écart de salaire il y a, le genre n’en est pas la raison.
Plus simplement, les entreprises doivent prouver qu’à poste et compétences égales hommes et femmes touchent le même salaire.
La loi est punitive puisque les entreprises qui ne la respectent pas encourent une amende de 50 000 couronnes (330 euros) par jour, au maximum.
D’ailleurs, un organisme indépendant vérifie qu’elles répondent à ces critères en fonction d’une série d’indicateurs et leur délivre une certification à renouveler tous les 3 ans.

Nous avons pu observer l’application de cette loi lors de notre visite avec l’entreprise CCP Games. En effet, CCP emploie plus de 250 salariés et possède la certification en question.
C’est également le cas de l’entreprise étatique Central Public Procurement qui a dû réduire des inégalités salariales hommes/femmes injustifiées de 5 à 0 %.
Enfin, à l’instar du congé parental Norvégien que nous avions évoqué lors de notre premier article public, le congé parental islandais est élaboré. Il dure neuf mois. Dans ces neufs mois, un tiers est réservé à la mère, un tiers au père et un tiers partageable entre les deux parents. Résultat, 90 % des pères prennent une partie du congé.
👉 Les limites
L’Islande impressionne par sa volonté de réduire les inégalités de genre.
Cependant quelques limites existent.
Prenons l’exemple de la loi dite « d’inversion des charges de la preuve ». Un des risques de la loi est de limiter les salaires et les embauches. En effet, l’augmentation du salaire d’un employé entraîne la nécessité d’augmenter tous les autres salariés ou de justifier la différence des salaires. À l’échelle d’un pays comme la France (plus d’habitants et d’entreprises), les conséquences négatives pourraient-être plus importantes et les lenteurs administratives fortes, en particulier pour les grandes entreprises. De la même façon, le marché du travail est évolutif. Un développeur peut très bien avoir un salaire moyen de 45 000 euros une année et de 50 000 euros une autre année en cas de pénurie de compétences. Recruter un nouveau développeur obligerait l’entreprise à augmenter tous les autres ce qui peut facilement dissuader certaines entreprises d’embaucher.
Un autre chantier reste bien présent en Islande : celui de la faible rémunération au sein des métiers féminisés. Par exemple, les métiers paramédicaux sont majoritairement féminins en Islande. La valorisation de certains métiers majoritairement occupés par des femmes peut être inférieure à certains métiers beaucoup plus masculins (notamment dans l’industrie).
Par conséquent, comme nous l’avons vu en introduction, l’écart de salaire horaire moyen pour les mêmes métiers est relativement bas mais le niveau d’écart de rémunération hommes-femmes en moyenne, est plus important.
Même si le chemin est encore long pour réduire complètement les inégalités de genre en Islande, les Islandais restent pionniers sur ce sujet. Au-delà des chiffres, c’est surtout la mentalité islandaise et le niveau de conscience sur le sujet qui nous ont impressionnés.
👉 Pour aller plus loin
– Article du Forum économique mondial qui explique le bon score de l’Islande en matière de lutte contre les inégalités de genre : https://www.weforum.org/agenda/2017/11/why-iceland-ranks-first-gender-equality/
– Article intéressant d’Alternatives Économiques qui challenge la loi de la charge inversée : https://www.alternatives-economiques.fr/inegalites-salariales-faut-imiter-lislande/00082588
– Articles pour comprendre plus précisément le sujet :
https://www.la-croix.com/Monde/LIslande-pointe-legalite-entre-femmes-hommes-2021-09-28-1201177704
Nous espérons que cet article vous plaira ! 🇮🇸
Clément & Romain Meyer de l’Odyssée Managériale