Pour des raisons de simplicité dans la lecture et sans discrimination aucune, la forme masculine sera utilisée pour parler du masculin et du féminin.
👉 Le contexte
Après trois semaines passées en Norvège, la première étape de notre Odyssée s’est achevée le jeudi 17 février. Et quelle première étape ! Via la rencontre de 16 collaborateurs, 11 entreprises et de nombreux locaux à Oslo et Bergen, nous avons eu la chance d’appréhender la culture managériale et sociétale norvégienne.
Notre compréhension de la culture norvégienne n’est évidemment pas exhaustive, et les exemples que nous vous donnerons ne reflètent pas le comportement de toutes les entreprises norvégiennes. Pour autant, les points que nous mettons en avant à travers cet article sont ressortis dans l’ensemble de nos discussions.
Même si la culture managériale norvégienne découle d’une culture sociétale radicalement différente de la nôtre, nous avons la conviction que nos entreprises françaises pourraient s’en inspirer. En tout cas nous l’espérons.
God lesning ! (Bonne lecture)
👉 Chapitre 1 : la confiance
Le niveau de confiance interpersonnel au sein des entreprises norvégiennes et dans la société entre citoyens nous a vraiment impressionnés.
Très rapidement, quelques exemples nous surprennent (positivement) : les boulangeries sont en libre-service, les locations de patins à glace sont totalement gratuites et sans aucune surveillance. Les Norvégiens se font confiance entre eux, et font confiance aux autres.
Un ressenti partagé par nos interviewés. Lors de l’une de nos visites d’entreprises, Kate de l’entreprise Miles nous dit : ‘la Norvège possède une chose très importante par rapport aux autres pays : la confiance‘ ;
Thomas, CEO de l’entreprise Amka, nous affirme quant à lui : ‘notre premier réflexe, notre première pensée est de faire confiance, pas de se méfier ‘.
En France, (et dans d’autres pays, nous ne sommes pas les seuls), depuis longtemps en entreprise, nous avons été habitués à ne pas faire confiance, à contrôler les résultats, à se méfier. En Norvège, une fois le recrutement terminé, la confiance est acquise.
À ce propos, dans les entreprises norvégiennes, la confiance se retrouve à tous les niveaux de l’entreprise et influence grandement la manière de manager :
– Confiance & manière de travailler : “je me fiche du comment, je veux juste voir le résultat” nous annonce Thomas. L’extraordinaire flexibilité du travail en Norvège nous surprend beaucoup. Une journée de travail type débute à 8h et finit à 16h mais cela peut varier : possibilité de travailler à distance, de partir plus tôt pour skier (certaines stations sont à 15 min du centre) ou d’aller chercher les enfants à l’école et retravailler le soir. Le manager part du principe que son collaborateur travaillera sans surveillance. Le moyen d’arriver aux résultats importe peu et contraste avec le présentéisme français de certaines entreprises.
– Confiance & prise de décision de chacun: Thomas de l’entreprise Amka nous explique que la culture d’entreprise norvégienne décentralise les prises de décisions importantes. Selon lui : “ce sont les employés les plus proches du problème et donc les plus à même de décider”. Il s’étonne d’ailleurs de la nécessité en France, de demander l’avis à son supérieur dans le processus de prise de décision.
– Confiance & erreur : Il ajoute par la suite qu’en Norvège, il est préférable de prendre des initiatives plutôt que de rester passif de peur de se tromper : “votre manager vous en voudra plus de ne pas avoir pris la décision que d’avoir échoué”. Christian, un des employés de Thomas, nous raconte qu’il a lui-même décidé de cibler un nouveau domaine viticole alors que l’impact économique de sa décision n’était pas négligeable pour l’entreprise.
Pour autant, il existe un cadre autour du sujet de la confiance en Norvège. En effet, si le lien de confiance est brisé avec un collaborateur, la réaction est immédiate. Les managers accentuent les contrôles mais surtout, une pression sociale est exercée par les autres salariés, poussant à l’autodiscipline.
👉 Chapitre 2 : le sentiment d’égalité
Nous ressentons un sentiment d’égalité sociale très fort dans la société norvégienne. Cela s’explique en partie par l’existence d’un code de conduite fictif en Norvège : la loi de Jante ou Janteloven. Inventée par l’écrivain dano-norvégien Aksel Sandemose, cette loi est composée de 10 règles, dont quatre marquantes :
Du skal ikke tro, at du er kloger end os. – Ne pense pas être plus intelligent que nous.
Du skal ikke bilde dig ind, at du er bedre end os. – Ne t’imagine pas être meilleur que nous.
Du skal ikke tro, at du ved mere end os. – Ne pense pas en savoir plus que nous.
Du skal ikke tro du er mere end os. – Ne pense pas être plus important que nous.
À ce propos, une traduction concrète de ce sentiment d’égalité est le dugnad : il s’agit d’une tradition norvégienne de volontariat coopératif. Les membres d’une communauté (voisins, club de foot, école…) se retrouvent plusieurs fois dans l’année pour participer ensemble à l’entretien ou l’amélioration d’un bien commun. Que vous soyez artisans, chef d’entreprise, joueur de hockey ou encore ministre : tout le monde met la main à la pâte.
Cette loi de Jante inspire non seulement la société norvégienne mais aussi les entreprises que nous avons visitées. Ce sentiment d’égalité se traduit au sein de celles-ci de différentes manières :
– La perception de la hiérarchie n’est pas la même qu’en France : premièrement, la majorité des entreprises ont des structures horizontales avec peu de niveaux hiérarchiques. Il existe comme partout des CEO, des N+1 voire N+2 (rarement plus) en Norvège, cependant, dans les faits, cette hiérarchie ne se ressent pas vraiment dans les relations interpersonnelles. L’exemple le plus marquant est celui de Thomas de l’entreprise Amka ou le CEO d’Innovation Norway qui laisse toujours leur porte ouverte pour montrer à leurs employés qu’ils sont accessibles (pourtant Innovation Norway compte 700 employés). Un supérieur hiérarchique ne se considère pas au-dessus de ses collaborateurs. D’ailleurs, petite anecdote, le vouvoiement n’existe pas en Norvège (sauf pour la famille royale).
– Manager ≠ sauveur : Sergio de l’entreprise Statkfrat nous expliquait qu’il était surpris de la vision du “manager sauveur” que nous avons en France (manager qui a forcément la réponse à nos questions). Dans les entreprises que nous avons rencontrées, le manager est un facilitateur, il accompagne ses collaborateurs vers la solution mais n’a pas réponse à tout. Il n’y a pas cette vision du manager ou du CEO tout puissant sans qui aucune décision ne pourrait être prise.
– L’égalité Femmes-Hommes : nous avons été marqués par les règles du congé parental en Norvège. Ces règles donnent les mêmes droits aux deux parents. En tout, 46 semaines de congés sont à partager entre les deux parents. Pour inciter le père à prendre ses congés paternité, le gouvernement Norvégien a instauré « le quota du père ». Il s’agit de 15 semaines qui lui sont réservées. Si jamais ces semaines ne sont pas prises, elles sont perdues pour le couple. Le résultat est assez impressionnant : 70 % des hommes prennent leur congé paternité. Selon Marie de l’entreprise Oslo Business Region, cela réduit les discriminations de genre à l’entretien, les deux parents étant susceptibles d’être absents sur une certaine période.
– Les écarts de salaires sont relativement faibles : selon Thomas, un CEO gagnera rarement plus que 3 fois le salaire de ses salariés. Ce rapport existe d’ailleurs entre tous les métiers (ministre, agriculteur, commercial ou artisans).
– La culture du consensus : Camille de l’entreprise Capgemini nous explique qu’il est parfois plus long de prendre une décision en Norvège qu’en France car la culture du consensus est forte. Un manager ou un CEO imposera rarement sa décision. Les collaborateurs sont régulièrement sollicités et pris en considération dans le processus de décision.
Nous aimons particulièrement cette vision du “manager facilitateur”. Cette vision d’un manager au service de ses équipes trouve son paroxysme lors de notre rencontre avec Kate de l’entreprise Miles qui ne se définit pas comme CEO mais comme Chief Servant Officer : au service de ses équipes.
👉 Chapitre 3 : l’équilibre de vie pro/perso
Tu fais quoi dans la vie ?
Que répondez-vous à cette question ?
En France, nous avons l’habitude de présenter notre travail, notre alternance, notre stage, nos études dans un premier temps.
Les Norvégiens que nous rencontrons se présentent de manière différente : “je joue dans cette équipe de handball, je suis passionné par la peinture, j’ai deux grandes sœurs etc …” Ils commencent par évoquer leur vie personnelle puis, dans un second temps, voire un troisième temps abordent la vie professionnelle ou étudiante.
Selon nous, cette différence dans la manière de se présenter à un inconnu s’explique par leur équilibre vie professionnelle / personnelle. Nous avons ressenti dans nos rencontres un profond respect de la vie personnelle de chacun. Le travail est important mais ne prend pas le dessus sur le reste.
Cet équilibre se retrouve à différents niveaux dans les entreprises que nous avons rencontrées
– Les horaires de travail : Sergio de l’entreprise Statkraft nous affirme : « notre organisation du travail est guidée par les horaires de la crèche. » Comme mentionné précédemment, la journée type est de 8 h à 16 h. Cela s’explique en partie par l’importance que les norvégiens accordent à leur vie familiale ou au sport.
Un exemple marquant donné par Thomas, est celui d’un CEO attendu pour une conférence devant 400 personnes, annulant à la dernière minute car sa fille était malade. Le fait de s’occuper de son enfant fut totalement respecté par l’audience. Cela aurait-il pu se produire en France ?
– La possibilité d’être en partie soi-même en entreprise : Christian de l’entreprise Amka nous a expliqué qu’il était possible d’exprimer ses difficultés en entreprise. Une mauvaise phase de vie ? Un divorce, un décès, qui affecte votre concentration ou votre capacité de travail ? Il est possible d’évoquer ces sujets dans les entreprises que nous avons rencontrées.. Certains CEO conseillent même à leurs employés de prendre du temps pour eux dans un moment délicat (sans avoir à poser de congé).
Nous avons pris conscience en Norvège du masque que nous devons parfois nous imposer en entreprise en France. Au cours de nos expériences professionnelles nous n’avons jamais vraiment osé parler de nos faiblesses ou de nos émotions. Dans les organisations Norvégiennes, nous avons compris qu’être en partie soi-même était non seulement possible mais aussi souhaitable. Loin d’être contre-productif, cela permet à chacun de se sentir mieux et accentue le sentiment de confiance entre les salariés.
👉 Chapitre 4 : la productivité
Notre première réaction en observant les horaires de travail norvégiens fut la suivante : comment est-ce possible de terminer sa journée de travail à 16h et d’obtenir des résultats ?
Derrière ces horaires de travail, se cache une productivité importante, expliquée par plusieurs raisons :
– Des prises de décision autonomes grâce à une confiance établie qui assure un gain de temps conséquent.
– Les heures de pause : dans les entreprises que nous avons visitées, les employés s’accordent généralement 30 minutes maximum pour déjeuner. D’ailleurs les restaurants à côté des coworking sont quasiment vides à 12 h. Les pauses café ou les discussions entre collègues sont plus rares qu’en France.
– Un présentéisme inexistant : selon Christian de l’entreprise Amka “les norvégiens haïssent le présentéisme, si tu as fait ce que tu devais faire, tu pars du travail. Il n’y a aucun besoin de rester jusqu’à ce que son manager parte”. À l’inverse, rester au travail trop longtemps est signe d’inefficacité.
– Une communication directe : À l’écrit et à l’oral, les norvégiens vont droit au but. La preuve ci-dessous avec un mail de réponse à notre demande de visite. Pragmatique et direct :
Hi Clement & Romain. Sure ! How about 10-11 at our office Monday next week (7 february). Our address is XXX.
Bs,
👉 Nos limites & conclusion :
À première vue, l’organisation du travail norvégien donne envie de prendre le premier avion pour Oslo et d’y construire sa vie. Cependant, nous avons observé certaines limites :
– Si la loi de Jante ou Janteloven promeut l’égalité et le respect de chacun, elle peut aussi être un frein à l’ambition de certaines personnes. La loi de Jante va de pair avec l’humilité, ce qui peut expliquer la méconnaissance européennes des grands succès norvégiens. Les entreprises Norvégiennes ne communiquent pas toujours sur leurs réussites. Depuis quelques années, un mouvement norvégien émerge pour nuancer cette loi de Jante et promouvoir les réussites entrepreneuriales. Christian de l’entreprise Amka nous explique également que les entreprises norvégiennes manquent parfois d’ambition et de dépassement de soi.
– Le temps de travail est précieux pour les travailleurs norvégiens afin de respecter leur équilibre vie pro/perso. Les norvégiens sont dans l’entreprise pour travailler, ce qui impacte forcément les moments de sociabilisation. Les afterworks sont rares, les discussions cordiales et la possibilité de se faire des amis au travail est restreinte.
Malgré ces limites, le cercle vertueux de l’organisation du travail norvégien restera une découverte marquante pour tous les deux : sentiment d’égalité – confiance – productivité – équilibre vie personnelle / vie professionnelle.
Nous espérons qu’il pourra vous inspirer autant qu’il nous a inspiré !
Clément & Romain Meyer de l’Odyssée Managériale 🌎
Voici quelques photos qui résument nos 3 semaines en Norvège 🇳🇴