Des énergies peu communes

Pour des raisons de simplicité dans la lecture et sans discrimination aucune, la forme masculine sera utilisée pour parler du masculin et du féminin.

Attendez… Pourquoi lire cet article ?

Avant le grand départ nous voulions visiter deux organisations innovantes dans leur management, une publique et une privée.

Lauréate du grand prix 2018 de l’innovation managériale du Lab’AATF*, la ville de Caluire-et-Cuire avait piqué notre curiosité au tout début du projet. Une quasi “ville libérée” dans un secteur public réputé très process c’est surprenant, non ?
À la suite d’une recommandation d’un ancien DRH de Vinci, nous avons choisi Campenon Bernard Nucléaire pour son agilité managériale initiée depuis plus d’un an. Une pépite pour un secteur très régulé et hiérarchique comme le BTP-Nucléaire !

Alors que nous étions partis pour faire deux articles différents, nous avons trouvé des points intéressants à traiter dans une approche en chassé-croisé sur le principe de subsidiarité…

*Le Lab’AATF est le Laboratoire d’innovation managériale de l’​Association AATF, association regroupant les hauts fonctionnaires territoriaux titulaires du grade d’Administrateur territorial. https://www.modernisation.gouv.fr/le-hub-des-communautes/le-labaatf

Caluire-et-Cuire, ça vous parle ?

Caluire-et-Cuire est une commune française de 42 000 habitants, limitrophe de Lyon. Philippe Cochet en est le maire et dirige main dans la main la ville avec Bernard Agarini, le directeur général des services (DGS), que nous avons pu interviewer. La DGS dispose de 600 agents et d’un budget de 60 millions d’euros pour administrer la collectivité (service civique, éducatif, espace vert…).

Bernard Agarini a globalement carte blanche pour assurer le bon fonctionnement des services de la ville et a, en quatre ans, fait basculer la ville d’un centralisme décisionnel important à une structure agile où les décisions sont prises dans l’autonomie. C’est cet aspect qui a retenu notre attention.

Bernard Campenon ; qui est-ce ?

Campenon Bernard Nucléaire est une filiale de Vinci Construction qui, depuis 1985, assure la maintenance et les opérations de mise à niveau en génie-civil sur les centrales du parc nucléaire français et sur d’autres installations à risque.

Philippe Gauthier est le directeur et gère une équipe de 170 collaborateurs. Dans un secteur très hiérarchique, masculin et régulé, ce fervent défenseur de la philosophie Laloux croit en l’humain et en l’autonomie.

Les rebels de leur secteur

À chaque secteur son modèle ?

Nous ne parlons pas de modèles agiles dans le secteur IT où ces formes sont communes, on parle bien là du secteur public français réputé très process et du génie civile en sûreté nucléaire où tout est régulé, et de près ! En effet, Depuis l’accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011, la France a mis en place un “plan d’action post Fukushima” pour pallier les écarts de conformité entre certains sites et accroître la résistance des installations en cas d’agressions naturelles. 

Pour répondre aux nouvelles attentes du secteur nucléaire, Philippe a rapidement siloté ses équipes en trois services. L’organisation fonctionnait au début. Ces services ont ensuite manqué de fluidité car leurs frontières devenaient moins poreuses. 

http://meaningfool.net/blog/organisation-orientee-produit-mettre-le-client-au-centre-de-lorganisation

Aidé par Thomas Bouchard, coach et ancien DRH de Vinci que nous avions rencontré, Philippe a donc entrepris une transformation managériale début 2019 afin d’instaurer des méthodes agiles.

Pour Caluire-et-Cuire, l’enjeu est différent. La direction générale des services travaille de pair avec la liste élue et son maire, Philippe Cochet, qui a juste besoin que “la voiture fonctionne lorsqu’il met le contact”. C’est à Bernard Agarini de penser son organisation de 600 individualités pour que les services municipaux soient assurés. À croire que c’était anticipé, la transformation initiée depuis une poignée d’années a justement permis à la DGS de s’adapter en moins de 48 heures en une structure en noyaux très agiles pour contrer l’incertitude de la Covid-19.

Une histoire de pôles

À la suite d’une consultation de toutes les parties prenantes de CBN, Philippe est allé plus loin avec une transformation de son organisation en un modèle matriciel* basé sur la confiance, la reconnaissance des compétences et la libération des énergies de chaque collaborateur. Fini les trois services (génie civile multi-site, réalisation de bâtiment tertiaire et grands comptes) et place à une organisation en pôles de compétences (qualité, méthode, structure, chantiers…).

Pour remettre le client au centre de l’organisation et désiloter ses services, CBN s’est alors structuré sur deux axes. Un premier axe horizontal permet la gestion du projet pour le client de A à Z . Les chefs de projet sont devenus des “leaders de projet” qui s’appuient sur un axe vertical réparti en pôles de compétence sollicités à chaque problématique.

Qui sont ces femmes et hommes qui les composent ?

À l’origine, deux leaders inspirants

Bernard et Philippe ne se connaissent pas mais ils ont beaucoup de points en commun ! Ils sont tous les deux convaincus qu’un bon leader doit miser sur l’autonomie. Pour cela, Philippe a choisi de s’inspirer de l’agilité que l’on retrouve dans le secteur IT en raison de la proximité entre les métiers de ces deux secteurs (ex : architecte réseau, chef de projet informatique…). Bernard, lui, a façonné sa vision du management à travers ses expériences diversifiées dans la fonction publique : “lorsque l’on parie sur l’humain, on n’est jamais déçu”.

Rencontre de Bernard Agarini, directeur général des services de la ville Caluire-et-Cuire et de Anne-Laure Chalet, directrice général adjointe. 
Rencontre de Philippe Gauthier, directeur de Campenon Bernard Nucléaire

Et que pensent les managers de leur leader ? Nous avons rencontré Jawad, coordinateur du périscolaire. Depuis l’arrivée de Bernard, Jawad ressent une nouvelle manière de faire et de penser les choses, “je me sens beaucoup plus force de proposition”. L’écoute et la confiance se sont installées. Pour Fanny qui dirige un pôle de compétence chez CBN, Philippe pousse naturellement à l’autonomie, ce qui lui permet de mieux diriger les individualités de son équipe.

Nous sommes donc convaincus, pour impulser un nouveau paradigme managérial, qu’il faut à l’origine des leaders qui ont des convictions et des managers qui les partagent…

Une histoire de pilotes

Rencontre de Fanny Tilignac, leader du pôle de compétence qualité chez CBN

Pour savoir comment sont véhiculées ces convictions, nous nous sommes intéressés au rôle des managers dans ces deux structures. Pour Jawad et Fanny, c’est le manager qui doit être au service de ses équipes et non l’inverse. Pour cela, ils accompagnent leur équipe en prenant le temps de connaître les individualités afin d’être sûr que chaque collaborateur se sente bien là où il est. En pratique ? Fanny n’hésite jamais à se déplacer pour traiter les choses de vive voix et Jawad prévoit toujours du temps pour parler des pépins personnels de son équipe.

Maintenant que le cadre est posé, intéressons-nous concrètement au principe de subsidiarité. Quelles sont les bases de la confiance ? Comment s’organise la prise de décision ? Et comment propose-t-on de nouvelles idées ?

Sur la route de l’autonomie

“L’accès à l’information, c’est le terreau de l’autonomie”

Le principe de subsidiarité, c’est laisser la responsabilité d’une action au collaborateur le plus compétent et le plus directement concerné par son impact. Une condition nécessaire ? L’information doit être facilement accessible et transparente. À Caluire-et-Cuire, nous avons assisté à une réunion des managers où la vision stratégique des élus et de la direction des services ainsi que les informations relatives au premier confinement (retour d’expérience, chiffres, projets…) étaient clairement exposées. À chacun ensuite d’agir là où il se sent concerné.

Chez CBN, la transmission d’informations passe par des grandes sessions de brainstorming et des points hebdomadaires avec les pôles de compétence. Ensuite, chaque pôle s’organise pour faciliter l’accès à l’information. Fanny, par exemple, orchestre généralement ses réunions d’équipe depuis la zone géographique de ses collaborateurs les moins “engagés” afin de les intégrer davantage.

Le cerveau collectif

Rencontre avec des agents municipaux de Caluire-et-Cuire

Jawad a favorisé la force de proposition de ses collaborateurs par l’environnement de confiance qu’il a créé. Dans son école, de nouvelles mesures d’accompagnement des familles ont ainsi été proposées, l’idée est venue d’en bas, remontée au manager (Jawad) qui l’a ensuite soumise au dirigeant (Bernard) et la pratique a été réplicable dans les autres écoles de la ville.

On a aimé la prise de décision rapide dans la ville de Caluire-et-Cuire, lors du confinement, les jardiniers se sont mis à livrer des repas. Ils ont réagi, et vite !

Côté CBN, l’organisation en pôle de compétences permet d’intervenir directement lors d’un problème sans attendre un aval hiérarchique. Dans ce cas, c’est uniquement le pôle concerné par ce dit problème qui prend la décision finale. À la fin, les collaborateurs sont plus motivés car plus responsabilisés.

La toison d’or

Risques et opportunités 

Les normes ISO* ont rigidifié le secteur nucléaire à l’instar de CBN. Pourtant, Philippe nous a présenté la méthode intéressante des risques et opportunités qui découle de la norme ISO 9001. Cette pratique se compose de trois phases :

1) Identification : les risques et opportunités de chaque projet sont listés.

2) Pondération : un classement est dressé avec le coefficient obtenu pour chaque événement
○  Coefficient risque = probabilité de réalisation * gravité si réalisé
○  Coefficient opportunité = probabilité de réalisation * gain si réalisé

3) Mise en place de scénarios pour contrer les risques et amplifier les opportunités. 

Cela fonctionne totalement si toutes les parties prenantes sont concertées. Ces dernières identifient les risques et opportunités par rapport à leur expérience et propose des scénarios. Grâce au retour d’expérience, c’est une boucle continue d’apprentissage. Nous y voyons un parallèle avec les techniques de préparation en scénario des forces spéciales. Thierry Picq et Tessa Melkonian ont travaillé sur ce sujet** :

Charte managériale, oui mais pas que

A la suite d’un grand brainstorming général initié par Bernard, tous les collaborateurs se sont entendus sur les valeurs de la ville et leur définition.

On a aimé son application concrète. Lors d’une réunion avec tous les managers, nous avons pu découvrir la nouvelle grille d’évaluation des collaborateurs et des managers où ces valeurs ont été traduites en compétences. D’une part, cela permet de les faire vivre et les intégrer à la culture managériale de Caluire-et-Cuire. D’autre part, cela permet de les opposer aux managers lors d’un entretien : c’est une sécurité pour les collaborateurs.

People review

Cette pratique du groupe Vinci est venue remplacer la grille de compétence classique utilisée par Campenon Bernard Nucléaire. Philippe l’affectionne. Elle se construit avec la “nine box” (voir ci-dessous nos talents de graphiste) qui permet d’évaluer les collaborateurs sur deux critères uniquement : la performance et la capacité à progresser dans son poste actuel. Et cela permet également de suivre leur évolution au cours des années.

Ainsi, les collaborateurs qui se retrouvent dans la case C2 par exemple n’ont sûrement pas un poste qui leur correspond, c’est à Philippe de les repositionner. Un collaborateur en A3 est un expert technique qui n’est pas supposé changer de poste. Le pistolet vert (cases A2-A1-B1) est composé des collaborateurs qui peuvent prétendre à une promotion

*Organisme international de normalisation qui a pour but de créer des normes (qualité/sécurité) dans les domaines industriels et commerciaux.

**L’idée est que toute organisation est soumise à des risques, dangers ou incertitudes et il est nécessaire de mettre des dispositifs organisationnels qui permettent d’y répondre. Les forces spéciales travaillent en mode projet (mission) avec des retours d’expérience très fort pour ne pas refaire deux fois les mêmes erreurs.

Remerciements

Nous tenions à remercier Anne-Laure Chalet pour l’organisation complète de notre visite de la ville de Caluire-et-Cuire, aux douze agents municipaux, la directrice du guichet unique et son adjointe, le directeur général des services et le directeur périscolaire d’une école primaire. Merci à eux pour leur temps. Merci également à Harmony Roche, coordinatrice nationale du Lab’AATF, de nous avoir partagé cette pépite.

Merci aussi à Thomas Bouchard pour sa mise en relation avec Philippe Gauthier, le directeur de CBN, et merci à lui pour la visite en deux temps que nous avons menée. Merci à Fanny de nous avoir accordé une interview et aux employés de nous avoir accueillis.

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